L’urgence d’éduquer au consentement : les violences sexuelles à la cité internationale

Illustration de Manjit Thapp

Cet article est issu du numéro “Urgences” du journal qui sortira en version papier dans le courant du mois de février

Alors qu’une étudiante sur 10 a été victime d’agression sexuelle, 1 étudiante sur 20 a subi un viol. C’est le constat alarmant qui ressort de l’enquête nationale menée en 2020 par l’observatoire étudiant des violences sexuelles et sexistes dans l’enseignement supérieur.1

“Il m’a dit ne pas être capable d’attendre. Lorsqu’il a retenté d’abaisser mon pantalon, je l’ai laissé faire. On se disait amis.”

Agathe2, résidente à la cité internationale

De Science Po à Centrale-Supélec dernièrement, nombreuses sont les écoles dont le prestige a été entaché par des scandales de violences sexuelles. Ce fléau n’a pas de profil sociologique, il touche l’ensemble de l’enseignement supérieur. On constate que la majorité de ces violences ont lieu le week-end ou hors du campus. De plus, l’effet de groupe et la consommation d’alcool sont des facteurs influençant significativement la survenue de ces violences.1 Du fait que de nombreux étudiants y vivent ensemble, la cité internationale constitue malheureusement un environnement propice à ces délits voire crimes dans le cas du viol. 

Quelle différence entre une agression sexuelle et un viol ?

“Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise” selon l’art. 222-22 du Code Pénal. “Toute acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par la violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.”, art. 222-23 du Code Pénal.

Des conséquences lourdes sur le mental

Rayane Hamza, médecin spécialisé en psychiatrie nous présente les conséquences traumatiques d’une violence sexuelle lors d’un entretien :  “Toute agression sexuelle constitue un évènement à potentiel traumatique. L’agression sexuelle est un évènement particulièrement pourvoyeur de trouble de stress post-traumatique (TSPT), d’autant plus quand elle va jusqu’au viol. En effet, plusieurs études3 ont démontré que les violences de nature sexuelle correspondent à l’une des catégories de violences les plus traumatisantes, tous évènements à potentiel traumatique confondus. Une agression sexuelle peut être traumatisante en ce qu’elle menace l’intégrité sexuelle de la victime, voire l’intégrité physique, allant jusqu’à la perception d’une menace à la vie. L’intentionnalité de l’agression sexuelle, c’est-à-dire le fait de diriger explicitement cette violence sur une personne, majore le risque de développer un TSPT.4

“« Tu m’as dit fais ce que tu veux de moi, donc je pensais que tu avais changé d’avis ». Tu n’entendais et voyais aucun de mes signaux de refus mais cette phrase, imprégnée de résignation, prononcée les larmes aux yeux, tu n’as pas eu besoin que je te la répète.”

Lola, résidente à la cité internationale

“Lors d’une agression sexuelle, la victime peut se trouver dans un état de choc et apparaître comme éteinte et passive. Sidérée par la violence, elle peut éprouver une extrême détresse psychique et ressentir des phénomènes de dissociation péri-traumatique. On parle par exemple de dépersonnalisation (sentiment d’être détaché de soi-même, de se regarder comme un observateur étranger) et de déréalisation (sentiment de ne plus reconnaître son environnement autour de soi, d’avoir l’impression que la réalité n’est plus réelle).”

Rayane Hamza, médecin spécialisé en psychiatrie

“Ce n’était pas le moment, je lui ai demandé que l’on reporte ça à plus tard. Il s’est quand même déshabillé et s’est mis à se masturber devant moi. Je pense m’être fait bien comprendre, je me suis justifiée. Il n’a simplement pas voulu m’écouter. Il a commencé à enlever mon pantalon, je l’ai remonté. Je lui ai encore demandé de laisser tomber, on aurait pu se voir plus tard dans la journée. Il m’a dit ne pas être capable d’attendre. Lorsqu’il a retenté d’abaisser mon pantalon, je l’ai laissé faire. On se disait amis, je le fréquentais depuis plus d’un an.” 

Agathe, résidente à la cité internationale

“Des études5 montrent que l’agresseur sexuel est connu par la victime dans la grande majorité des cas. Or, les victimes ont tendance à ne pas porter plainte si elles connaissent l’agresseur, si des toxiques6 sont impliqués (l’alcool y compris), si elles présentent une amnésie partielle des évènements, et s’il n’y a pas de lésion physique ni de preuve biologique de l’agression sexuelle. Ce défaut de plainte peut s’expliquer en particulier par des idées de culpabilité envahissantes qui ralentissent la reconnaissance du statut de victime et freinent les démarches pour porter plainte. Par la culpabilité, la victime tente inconsciemment de reprendre le contrôle sur un événement qui lui est apparu inconcevable par sa violence.”

Rayane Hamza, médecin spécialisé en psychiatrie

Des failles dans nos institutions ? 

Un mois après son agression, Agathe a décidé de porter plainte contre son agresseur. Voici son témoignage :

“J’ai été au commissariat du 14ème pour prendre des conseils. J’ai été reçue par deux policières qui m’ont encouragée à porter plainte. Un mois plus tard, l’enquêtrice m’appelle pour une confrontation le lendemain. Je n’étais pas au courant que c’était une éventualité, je n’avais pas d’avocat contrairement à lui. L’enquêtrice m’a demandé pourquoi j’avais besoin d’un avocat en insinuant que ce n’était pas nécessaire. J’avais le choix entre refuser la confrontation, la faire le lendemain sans être certaine d’avoir un avocat ou repousser la confrontation à dans deux mois. Je m’y suis rendue le lendemain avec un avocat commis d’office que les assistantes du relais social et du commissariat ont pu trouver. Mon avocat a eu cinq minutes pour lire ma plainte. J’ai découvert sa déposition lors de la confrontation. Durant les deux heures, j’ai été interrogée par son avocat pendant plus de trente minutes sur des détails très intimes et très peu reliés au viol en lui-même. J’ai eu le sentiment que c’était très inégal et de ne pas avoir été suffisamment informée lors du dépôt de ma plainte, heureusement l’assistante sociale m’a beaucoup aidée.”

Au-delà des difficultés psychiques obstruant le processus de reconnaissance, les institutions ont mauvaise réputation et ont tendance à dissuader davantage la victime de dénoncer les faits. Une enquête policière sur ce type d’affaires met plusieurs mois à aboutir. D’autre part, l’écoute et l’accompagnement de la victime sont souvent insuffisants et les paroles maladroites ont de lourdes conséquences sur la victime. Dans de nombreux cas, l’affaire est classée sans suite, faute de preuves. Il n’existe habituellement plus aucune preuve matérielle lorsque la victime porte plainte. Outre ces problèmes, la définition juridique d’agression sexuelle et de viol implique l’emploi de « violence, contrainte, menace ou surprise » par l’agresseur. Cette définition est trop restrictive. Elle laisse place à une zone d’ombre entre consentement libre et contrainte dans laquelle une victime peut facilement se retrouver et perdre le sentiment de légitimité à poursuivre son agresseur en justice. 

Dans les mois qui suivent l’incident, que la victime ait porté plainte ou non, elle peut se retrouver confrontée à son agresseur de façon quotidienne lorsqu’il se trouve dans la même université ou résidence. Pour cette raison, il est plus que nécessaire de faciliter la prise de parole aux victimes et de leur assurer une sécurité optimale à l’échelle de la cité internationale. Une des assistances du relais social est spécifiquement formée sur les violences sexuelles et sexistes et les délais sont assez courts (quelques jours) si l’on précise que l’on vient pour une affaire de violence sexuelle.

Excepté le suivi psychologique proposé, la gestion de ces cas par l’administration de la CIUP a pu être frustrante voire décevante pour les victimes. 

Le 16 mai 2021, une pétition visant à mettre en place un protocole en cas de violences sexuelles est réclamé par de nombreux et nombreuses résident.e.s. Sont émises les idées d’une meilleure protection de la victime passant par le relais social, d’un effectif plus important dans le poste de sécurité et d’une sanction explicite stipulée dans le règlement de la cité internationale pour les agresseurs. 

Une enquête interne a désormais lieu en cas de signalement. Elle est menée par des directeurs de maison, des référents de la CIUP et le cas échéant, un professionnel de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. La décision de la direction suite à l’enquête peut aboutir à diverses sanctions allant jusqu’à l’exclusion. L’enquête est définitivement plus rapide que celle menée par la police mais ces quelques semaines sont lourdes psychologiquement lorsque l’agresseur vit à proximité ou étudie dans la même université.  D’autres mesures sont possibles pour remédier à cela, telles que le changement de chambre ou de maison pour la victime si elle le souhaite. Ce sont des solutions lorsqu’il y a un véritable sentiment d’insécurité dans le domicile mais changer d’environnement et perdre potentiellement ses repères n’est pas une décision facile à prendre. Si les directeurs de Maison et la direction de la cité internationale disposent de suffisamment d’éléments contre l’agresseur, un relogement peut lui être imposé pour l’éloigner de la victime.

Actuellement, l’administration de la CIUP entreprend plusieurs initiatives pour prévenir et sanctionner plus adéquatement les violences sexuelles et sexistes à la cité mais des problèmes subsistent, notamment en ce qui concerne le harcèlement sexuel dans le parc.

“A la CIUP et dans les environs, il semble qu’il y ait des types bizarres qui savent que les jeunes femmes seront là, j’ai vu le même type bizarre plusieurs fois, donc cela devrait être un sujet sur lequel la CIUP réfléchit : comment faire en sorte qu’il soit facile de venir les dénoncer pour protéger les autres à l’avenir des mêmes types. Il devrait y avoir un numéro, une adresse e-mail ou une personne que toute personne victime de violence sexuelle pourrait contacter pour obtenir une aide et une sécurité immédiates. Si cela existe déjà, je n’en ai pas entendu parler, cela devrait être mieux communiqué.”

Maria, résidente à la cité internationale

Il y a régulièrement des étudiantes sur le groupe Facebook de la cité racontant avoir été harcelées, insultées ou suivies par des non-résidents. Comment se fait-il que ces personnes puissent si facilement rentrer à des heures tardives dans le parc ? 

Les agents de sécurité sont censés être les premières personnes à appeler en cas de danger dans le parc. Pourtant, ils ne sont pas formés à prendre en charge ces cas et nombre d’entre eux ne parlent pas anglais ce qui rajoute des difficultés pour les victimes étrangères. 

Le consentement : urgence de sensibiliser

Le cœur du problème réside en réalité dans l’éducation et la sensibilisation au consentement. Un rapport sexuel n’est pas une négociation. Ce n’est pas en y mettant toute son énergie, son argumentation ou sa persuasion physique qu’on obtiendra le désir de l’autre. Une personne qui n’est plus en état de prendre ses décisions n’est pas consentante. Une absence de réponse, un refus timide ou un changement d’avis ne devrait jamais être ignoré. Céder ne devrait jamais être considéré comme une forme de consentement.

Après avoir récolté plusieurs témoignages, il semble assez frappant que le consentement soit une notion encore trop floue ou volontairement ignorée par certain.e.s. Il constitue un problème encore important à la cité internationale et à l’image de l’ensemble de la société, un sujet encore trop tabou. Seulement 20% des étudiant.e.s connaissent la différence entre agression sexuelle et viol.7 Une grande insuffisance se fait ressentir sur l’éducation au sujet du consentement.

La diversité des parcours et de socialisation est une grande richesse à la cité internationale mais elle est aussi une cause de ces différences d’éducation et de sensibilité à ce thème. De ce fait, les posters ne sont pas suffisants. Il est temps de lancer une véritable campagne de sensibilisation, de délivrer l’information et de confronter les idées problématiques. Comme le font déjà plusieurs universités, l’appel à des organisations spécialisées dans les violences sexuelles et sexistes est possible pour traiter du sujet. Les nouveaux et nouvelles résident.e.s devraient assister à cette formation obligatoire sur le consentement au moins une fois durant leur séjour à la cité internationale. Certains établissements ont recours à des vidéos pédagogiques et synthétiques obligatoires, une solution nécessitant peu de moyens. Il est indéniable qu’avec un peu plus d’éducation et des exemples concrets, un certain nombre de ces drames pourraient être évités.

Des contacts sur Paris pour les victimes de violences sexuelles :

Direction de la sécurité PC27 : 01 44 16 66 00 (Joignable 24h/24, 7j/7)

L’équipe du Relais Social International (RSI) : relais.social@ciup.fr / 01 44 16 65 62 :

Adresse mail pour signaler un cas de violence dans la cité internationale :  alerte-violences@ciup.fr

Violence femme info (Écoute et réorientation téléphonique) : 39 19 (24h/24 7/7)

Collectif féministe contre le viol : 08 00 05 95 95 (Lundi à vendredi 10h-19h; écoutes téléphonique (en français, en anglais et espagnol), réorientation, aide juridique et livret juridique en ligne 

FNCIDFF : 01 42 17 12 00 (Aide juridique par rendez-vous présentiel)

Paris aide Victime : 01 87 04 21 36 (Suivi psy suite à un traumatisme, aide juridique (avocat))

Centre psycho trauma à Institut de victimologie (Aide psy mais 3 mois d’attente)

A lire : Poème de Pola Kidzuga

1 Enquête 2020, observatoire étudiant des violences sexuelles et sexistes dans l’enseignement supérieur
2 Pour conserver l’anonymat, tous les prénoms des témoignages ont été modifiés.
3 Deykin EY, Buka SL. Prevalence and risk factors for posttraumatic stress disorder among chemically dependent adolescents. Am J Psychiatry. 1997 Jun.
4 La victime d’une violence sexuelle perçoit qu’une violence est clairement et directement dirigée sur soi contrairement à une victime de catastrophe naturelle ou accident de voiture par exemple.
5 Viols, tentative de viols et attouchements sexuels, ministère de l’Intérieur
6 Toutes drogues douces et dures comprenant l’alcool.
7 Enquête 2020, observatoire étudiant des violences sexuelles et sexistes dans l’enseignement supérieur.

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