Cher Fils,

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Je sais au plus profond de mon âme que je veux des enfants, alors lorsque tu viendras au monde, tu seras voulu et aimé. Mais je ne cesserai d’avoir peur : Peur que tu deviennes l’un de ces bourreaux qui infligent aux femmes ce que d’autres m’ont infligé. J’ai peur parce que la cruauté ne porte pas toujours une arme, elle ne se cache pas toujours dans les parkings sombres ou entre les poubelles d’un bar dans une ruelle. Elle se promène en fait souvent parmi nous, fait ses courses, se rend au travail et paye ses impôts. Elle est façonnée par une société qui détourne les yeux alors qu’une femme sur six déclare encore avoir commencé sa vie sexuelle par un acte non consenti et non désiré et que seul 1% des agresseurs est condamné.

J’ai peur aussi, parce que la cruauté prend plusieurs formes et ne se solde pas toujours par le poids d’un corps sur un autre. Elle prend parfois l’apparence d’une gifle ou se dissimule dans des paroles qu’on ne pourra jamais retirer. Elle se faufile dans nos conversations mais aussi dans nos écrans. On la rencontre dans une station de métro, au travail, devant un café ou sur internet. Parfois on repasse ses chemises et prépare son repas, d’autres fois on ignore jusqu’à son nom. On la retrouve chaque année pour Noël, lui fait la bise au nouvel an. Elle nous envoie des cartes d’anniversaire et nous sourit lorsqu’elle nous croise. 

Elle est entrée dans ma vie plusieurs fois. Elle m’a ajoutée sur Facebook quand j’avais 11 ans, m’a donné rendez-vous dans le parc d’un château lorsque j’en avais 14. Elle était dans ma chambre alors que mes parents étaient en bas et elle m’a raccompagnée chez moi lors d’une soirée arrosée. Elle s’est invitée chez ma meilleure amie et chez une fille qui avait perdu son téléphone un soir dans les rues de Rotterdam. Je me suis souvent demandé si elle avait eu conscience de son impact sur nos vies, si elle savait au fond d’elle que le temps n’efface pas tout. Elle avait un visage si doux, celui d’un ami parfois… et mon fils, je ne supporterais pas qu’elle prenne le tien.

On dit que l’amour d’une mère est inconditionnel. Mais qui s’imagine réellement mettre au monde un petit être capable de causer du tort ? Dans ce pays où les fellations collectives se multiplient dans les toilettes des collèges, où l’accès à ces images que les enfants ne comprennent pas est de plus en plus facile, j’ai peur de ne pas parvenir à faire de toi un individu respectueux, qui voit en chacun la personne et non l’objet. Un individu qui ne prononcera jamais cette phrase qui des années plus tard me hante toujours : “Les hommes ont des besoins, tu comprends ?”.

Cher fils, je veux que tu sois de ceux qui protègent et non de ceux qui clament par la suite “Je comprends ta souffrance, mais finalement, ce n’était pas un viol, c’était au pire une agression avec des circonstances atténuantes”. 

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