Interné à l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne. Témoignage d’un résident.

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J’ai pensé que je ne sortirais jamais. Après avoir claqué la porte de ma chambre dans la Cité U, j’ai traversé le parc de Montsouris pour me présenter au Secteur 13 dans un vieux pavillon de l’hôpital Sainte-Anne. J’étais en retard. Comme à l’enregistrement dans une prison, ils ont pris mon badge-clé (au cas où je me pendais avec le cordon), mon porte-monnaie (car il y avait pas mal de vols), on m’a donné des chemises de malade et je n’avais droit à mon portable qu’entre 10h et 20h. J’avais mon premier entretien avec ma psychiatre et ensuite, j’étais libre. Au moins, libre de circuler entre le couloir blanc au premier étage et une petite cour clôturée qu’on partageais avec les patients en toxicomanie au rez-de-chaussée : je n’avais plus droit à sortir.

L’arrivée à l’hôpital Sainte-Anne

Autrefois entouré complètement par des murs externes et internes, l’hôpital Sainte-Anne est le symbole de l’ancien asile de fous à la française. Dans son temps, elle a accueilli des patients célèbres de Michel Foucault jusqu’à Louis Althusser, le premier avait après son séjour écrit son critique acerbe de la psychiatrie française dans l’« Histoire de la folie à l’âge classique », le dernier était interné ici après avoir étranglé sa femme à l’École Normale Supérieure. Pour les étudiant.e.s, cet hôpital public est le dernier recours, quand toutes les autres options ont été épuisées. Vous êtes soit là avec « consentement » (en soin psychiatrique « libre »), soit comme dans la plupart des cas, hospitalisé sous contrainte. 

Le premier soir à l’hôpital, j’avais le sentiment de traverser un autre monde. Tout de suite, j’ai rencontré les deux autres résidents de la Cité U aussi hospitalisés, dont un avec qui je vivais et que je connaissais bien, mais qui avait disparu de la maison depuis quelques semaines, l’autre habitait dans la maison voisine. Le premier avait l’air brisé, après ses tentatives échouées d’un recours judiciaire auprès du juge des libertés et de la détention. Il n’avait même pas eu des « permissions » depuis son arrivée.  Après le dîner, je me suis assis sur une table avec les autres jeunes. Une fille avec une cinquante des griffures sur son avant-bras était en train de partager son histoire de comment elle avait tenté de se suicider. Ils ont fait un tour de table et quand c’était mon tour à partager. Je ne pouvais rien dire, j’avais choisi d’être ici. 

Pathologies internes

Avant d’arriver ici, j’ai été dans un état d’épuisement total. Je suis resté toute la journée sur mon lit. J’ai pris des douches de plus d’une heure. Ce n’était même plus possible de lire une phrase. Jusqu’à ce point, je voyais une psychiatre du centre médico-psychologique et je prenais des antidépresseurs pour mon trouble d’anxiété, mais je ne pouvais plus travailler, c’était du burnout complet. Normalement, la plupart des personnes hospitalisées dans un hôpital public sont là parce que la police, un médecin/psychologue ou un membre de leur famille les ont amenés aux urgences de l’hôpital parce qu’il posait un danger imminent à eux-mêmes ou aux autres. Mais on peut aussi choisir d’être là s’il ne reste plus d’autre option : telle est la vocation de l’hôpital public. Faute de n’avoir pas les moyens de me faire traiter dans une clinique privée, je me suis rendu là avec mon consentement.

Le lendemain, j’étais réveillé par des hurlements, des cris, de quelqu’un en train de taper fortement sur sa porte. Hier, ils l’avaient mis sous contention et lui avaient injecté des sédatifs pour calmer sa crise. Aujourd’hui, elle était en isolation de contact. Car à la différence du Secteur 3 (5e et 6e arrondissement) dans le pavillon d’à côté où on ne pratique qu’exceptionnellement la contention et l’isolement, ici nous étions dans le Secteur 13 (14e arrondissement) de Sainte Anne où ces pratiques sont banalisées. Ignorant le martèlement sur la porte, nous avons tous fait la queue devant la pharmacie pour recevoir nos médicaments, avant de pouvoir manger le petit déjeuner. Un patient ne cessait pas de parler à elle-même, une autre souffrait de crises de délire. C’était là que j’ai enfin pu voir la diversité des personnages internés, plus riche et variée que celle présentée par le chef-d’œuvre cinématographique le « Vol au-dessus d’un nid de coucou ». Il y avait ceux qui ont été hospitalisés pendant des mois, d’autres depuis un an et plus. Il y en avait plusieurs qui avaient des handicaps mentaux sévères et pouvaient à peine parler, qui, dans d’autres pays, auraient été traités dans des services de soins de proximité. C’étaient nos besoins de soin qui nous retenaient tous ici. 

Malgré son rôle de filet de sécurité de dernier recours, le centre hospitalier Sainte-Anne (qui fait partie du Groupe hospitalier universitaire Paris), comme tous les hôpitaux publics en France, est en crise. Elle accueille de plus en plus de personnes hospitalisées en soins psychiatriques sans consentement. En revanche, on ne cesse pas de diminuer le nombre de lits, les psychiatres sont au bord de l’épuisement et on manque d’infirmiers (après 10 ans de service, ils gagnent à peine 1800 € net). En plus, le salaire (comme dans toute la fonction publique) n’a presque pas évolué depuis dix ans même avec l’inflation et la psychiatrie est devenue de moins en moins attractive pour les nouveaux internes en médecine. Au sein encore de l’hôpital, le soin qu’on reçoit dépend du secteur dont on relève. La manière dont les services de soins sont organisés, parfois aussi les services proposés, varient en fonction du secteur où on habite. Ainsi, quelqu’un qui vit dans le 16e arrondissement de Paris relève d’une structure avec ses propres personnels, l’infrastructure et un fonctionnement complètement différent du 14e arrondissement, bien que les bâtiments soient juste à côté.    

Permissions externes

Après une semaine d’observation à l’hôpital, j’ai enfin reçu ma première « permission » pour rentrer à la Cité U pendant le weekend. Les autres patients m’ont félicité et j’ai commencé à rapidement faire mon sac. Le patient avec qui je partageais la chambre ronflait comme un éléphant toute la nuit et j’avais hâte de finalement dormir tranquillement dans ma propre chambre. Il m’avait dit que la police l’avait envoyé ici pour maîtriser sa gestion de la colère, après qu’il a donné un coup de poing dans la figure d’un fonctionnaire. J’ai vite compris quand Sartre a dit, « jamais nous n’avons été aussi libres que sous l’occupation allemande », dans la sensation vertigineuse que j’ai eu en rentrant à pied en plein confinement, après une semaine privée de liberté. J’étais submergé par les bruits, la foule de personnes et les voitures, que je n’étais plus habitué à voir derrière les grilles et le mur de l’hôpital. Prenant une petite déviation pour passer par la maison d’arrêt de la Santé, la dernière prison de Paris intra-muros où Guillaume Apollinaire, Jean Genet et Carlos le Chacal ont été une fois détenus, je suis enfin arrivé au boulevard Jourdan. On faisait une grande soirée dans le foyer et j’ai même vu l’autre résident qui a aussi eu sa première « perm ». Il était environ 2h quand le vigile a mis fin à la soirée. Ce weekend, j’ai revu mes amis, avant de retourner à l’hôpital dimanche soir.  

Cette semaine, j’ai découvert qu’il y avait des ateliers d’art-thérapie, de relaxation, de la gym et même un atelier pour rédiger le dernier numéro du journal des patients du secteur. Au lieu de marcher en cercle dans la cour toute la journée, je me suis vite inscrit dans le plus d’activités possibles. J’y ai créé mon premier collage, une sculpture en terre et des textes de création littéraire sur l’enfance. Avec les antidépresseurs, ces activités ont amélioré ma concentration : je suis devenu plus détenu, je gérais mieux mes anxiétés et j’arrivais enfin à travailler. Dans mon dernier entretien avec ma psychiatre, je suis même arrivé au point d’avouer que j’ai passé l’un de mes meilleurs moments de ma vie à Paris, là enfermé dans cet hôpital psychiatrique. Pour finir, elle a dit que si jamais je décide d’écrire un article sur l’hôpital, elle espère que l’hôpital ne sera pas perçu sous un trop mauvais jour.

Petit guide pratique

Actuellement en France, si vous voulez voir un psychologue gratuitement, vous devez passer par un service de santé de votre université, le BAPU de proximité, ou le CMP de secteur. Souvent, les listes d’attente peuvent être longues pour la première consultation. En dehors du service public, une consultation en libéral coûte entre 40-60 € et les mutuelles peuvent rembourser une partie. Même si le gouvernement prévoit la prise en charge des consultations psychologiques par la sécurité sociale en 2022, il reste à voir combien de psychologues rejoindront ce dispositif, vu le faible taux de remboursement. Dans la Cité U, nous avons la chance que le Relais Social entretient un rapport privilégié avec le BAPU Pascal, pour que deux psychanalystes travaillent ici. Pour les problèmes plus graves, il faut voir un psychiatre, qui peut prescrire des médicaments. Seuls les psychiatres aux CMP ou « conventionné “secteur 1” en cabinet sont complètement pris en charge par la sécu et les mutuelles. Les psychiatres conventionnés “secteur 2” peuvent facturer des dépassements d’honoraires. Si vous voulez plus de renseignements ou si vous avez besoin d’une orientation, il est fortement conseillé de consulter les assistants sociaux du Relais Social qui peuvent bien vous orienter.

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