« – Tais-toi, écoutes
– Je n’entends rien
– Les huîtres
– Les huîtres ? Quelles huîtres ? Ça parle pas les huîtres
– Non elles chantent »
Et si les huîtres pouvaient chanter ?
Est-ce que quelqu’un.e s’est déjà posé la question ?
Combien de choses impossibles se produisent chaque jour, sans que l’idée de celles-ci ne nous aient traversé l’esprit ?
Quelles sont ces choses qui nous empêchent de transformer notre rapport au monde ?
« Le monde ne mourra pas par manque de merveilles mais uniquement par manque d’émerveillement. »
Gilbert Keith Chesterton, extrait du site du Théâtre de la Cité
À la lecture du titre de cette pièce, on ne peut que s’étonner de l’improbable juxtaposition de ces deux termes. Cet étonnement est maintenu tout au long de la pièce, tant elle brille par ses métaphores et la richesse de ses personnages. Le titre se veut être la promesse d’un univers original où les huîtres chantent ; à bon entendeur.
Les personnages y sont hauts en couleurs, littéralement. Un personnage nommé la paille se promène en costume de pailles multicolores, au service de sa reine. Du haut de son trône, elle dirige un monde orbitant autour du travail. Deux jeunes femmes aux uniformes recouverts de plastique sont à ses ordres, elles ramassent les ordures dans une déchèterie. Leurs personnalités sont aux antipodes : la première est soumise et se laisse broyer par la machine du travail, la seconde est une âme libre et désinvolte, la seule à pouvoir percevoir le chant des huîtres.
Elle prend sa collègue soumise et insiste à lui faire découvrir la beauté du monde loin du prisme du travail, à lui faire écouter les huîtres chanter. Cela leur vaut à elles deux d’être renvoyées par la patronne.
Un troisième personnage tente de tirer avantage de la détresse de l’employée soumise et de sa perte de sens à la vie en lui promettant de l’emmener au large pour qu’elle rejoigne un ailleurs et entame une nouvelle vie. Il incarne une vision cynique d’un monde semblable à une maison qui brûle, et s’efforce de convaincre les humains qu’il faut mourir pour renaître et atteindre la rédemption. En réalité, c’est un escroc qui instrumentalise l’errance des humains pour les amener vers la mort.
La pièce regorge de symboles, son décor, son scénario et la profondeur de ses personnages tissent la toile d’un monde plastique où les employés se voient assigner un numéro et sont renvoyés dès que leur performance chancelle et que leur âge croit. A mon sens une dystopie du capitalisme, cette pièce montre à quel point la valeur des humains est indissociable de leur labeur, à l’instar de l’employée soumise qui n’emploie jamais le “je” dans ses phrases, symbole d’une véritable dépossession de son être au fil de ses tâches répétitives à la déchetterie. Ces personnages tournent en rond et sont guettés par le spectre de la fatalité. Cependant, note d’optimisme, vers la fin de la pièce, l’employée soumise parvient à entendre le chant des huîtres lors d’une scène qui marque le début de sa libération; elle retrouve la mémoire et se souvient de la beauté du monde qu’elle avait enterrée dans un puit profond de sa pensée.
“Il faut se souvenir pour exister.”
Selon des interprétations chrétiennes entre autres, les huîtres représentent une énergie cosmique et génératrice, elles renferment en effet ce qui est précieux: les perles. Ne pas les entendre chanter, c’est peut-être passer à côté de ce qui a réellement de la valeur. C’est défiler dans le monde avec du sable dans les yeux. Choix scénaristique pertinent, le metteur en scène juxtaposé à ce chant, voyeuriste et superficiel de la patronne, aux allures de reine avec sa folie des grandeurs.
La pièce se veut ainsi être une invitation à l’imagination, à travers la représentation d’un univers à la fois lointain et proche de nous, en résonance avec nos sensibilités; et ce à travers la critique sociale à laquelle il appelle.