La nouvelle Maison de la Tunisie fait des émois

Vu de la maison de l’extérieure Source: https://alumni.ciup.fr/news/376196

En 2020, le Pavillon Habib Bourguiba (PHB) a ouvert ses portes à la Cité universitaire. Alors que les responsables jugent qu’il s’agit d’une « belle réussite architecturale », beaucoup de résident.e.s se plaignent d’une situation « invivable », d’une « chaleur insupportable », de « l’extrême niveau de bruit », ainsi que d’autres défauts architecturaux. S’agit-il alors de « petits défauts de jeunesse » comme le dit le directeur de la maison, Tahar Battikh, ou de « problèmes structurels » comme le dénonce un résident ? Résidente au PHB, je suis allée à la recherche d’une réponse.

Que disent les résident.e.s ?

Après un premier pavillon tunisien ouvert depuis 1953, la Maison de la Tunisie (MdT) en a inauguré un deuxième en 2020, portant le nom de Habib Bourguiba, premier président de la Tunisie. La façade de l’immeuble, couverte de lettres arabes, est aussi impressionnante que les couloirs à l’intérieur. À quelques mètres de l’autoroute, cet espace est calme et reposant.

Calme et reposant, une description qui ne concorde pourtant pas avec la réalité de beaucoup de résident.e.s. Alors que la moitié des 203 chambres sont orientées vers le périphérique qui se trouve à quelques mètres derrière leurs fenêtres, l’isolation acoustique est insuffisante. Mokhtar*, qui a habité pendant une année côté périphérique, s’exprime : « Je n’arrivais pas à dormir à cause du bruit. Par manque de sommeil, je n’arrivais pas à me concentrer pour mon doctorat et j’étais tout le temps de mauvaise humeur. Au début, j’ai essayé de m’adapter – j’ai mis un casque anti-bruit, et pour dormir des bouchons d’oreilles. De plus, je n’ai pas étudié dans ma chambre car on ne peut pas se concentrer avec ce bruit constant. Mais avec le temps, je ne pouvais vraiment plus. La situation devenait de plus en plus insupportable ».

En plus du bruit, les résident.e.s évoquent la chaleur et la pollution. Léo*, ancien résident s’exprime : « mon expérience à la maison était assez mauvaise, surtout en été. La chaleur est horrible et on n’arrive pas à dormir. On a carrément l’impression d’être dans un sauna. » Noor*, résidente, renchérit : « En plus, on ne peut pas ouvrir les fenêtres à cause du bruit. C’est vraiment horrible ». Salma* dit être chanceuse de vivre côté parc : « c’est carrément invivable pour les gens côté périph ». Ayoub* insiste : « J’ai habité une année côté périph et je n’en pouvais plus, vraiment. »

La vue d’une chambre du nouveau Pavillon Habib Bourguiba à la cité, inauguré en 2020.

Selon eux, la situation a des conséquences négatives sur leur concentration et leur sommeil et ainsi, sur leurs études et même sur leur santé. Noor : « Déjà, je ne dors pas plus que cinq heures. Mais en plus, je me réveille entre-temps, il fait trop chaud et il y a trop de bruit. Je me réveille alors fatiguée, je n’arrive pas à me lever, et au travail, je n’arrive pas à me concentrer ». Noor dit avoir réalisé à quel point cette situation avait des impacts sur sa vie professionnelle et personnelle après avoir lu la tribune libre d’une résidente publiée par Cité Unie[1] et Chroniques d’architectures[2] : « Depuis mon emménagement, tout le monde me disait que je devenais très nerveuse. Ce n’était qu’après ce témoignage que j’ai réalisé que c’était à cause de la chambre ». Léo insiste : « C’est évident que c’est dangereux pour la santé de vivre dans une telle chambre » et me confie : « à la fin de mon séjour, j’ai développé un acouphène, c’était la première fois que j’ai eu un truc pareil. Mon docteur m’a dit que c’était psychologique à cause du bruit et du stress que j’ai subi dans cette chambre ». S’il est difficile de dire à quel point ces problèmes de santé sont dûs au logement, il est prouvé que le bruit et la pollution ont des effets nuisibles sur la santé, comme le montrent par exemple des études de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS)[3] et du Ministère français de la Santé[4].

Un autre problème que tou.te.s les résident.e.s mettent en avant est la cuisine qui est en panne en permanence depuis presque l’inauguration de l’immeuble, comme le souligne Noor. En effet, la cuisine, un an après son ouverture, semble ne pas être finie, et en même temps, elle est déjà cassée. Les plaques ne marchent pas, et les matériaux s’enlèvent par défaut de construction. Léo se souvient: « Quand ma copine est venue me rendre visite, elle était complètement dégoûtée par l’état de la cuisine. Il y avait même des souris pendant une longue période. »

Que disent les architectes ?

Pour comprendre comment une nouvelle maison avec un budget de 23 millions d’euros (HT) peut avoir de tels défauts, j’ai contacté le bureau d’architecture (Explorations Architecture), l’entreprise de construction (Eiffage), l’Assistance à Maîtrise d’Ouvrage (Oskaprod) et la direction de la MdT.

De même, j’ai demandé l’avis de plusieurs ingénieurs et architectes. Elie, ingénieur énergétique et thermique, explique qu’il aurait fallu introduire des stores contre la chaleur : « Les rideaux ne servent à rien car la chaleur est déjà dans la chambre, alors que les stores empêchent la chaleur d’entrer ». Autre avantage des stores : on peut obscurcir une chambre, ce qui est après le bruit la deuxième condition essentielle d’un bon sommeil[5], alors que beaucoup de résident.e.s disent être dérangé dans leur sommeil par la lumière du fait que les rideaux ne couvrent qu’une partie de la fenêtre. L’impression se renforce : si l’emplacement de l’immeuble présente en effet des défis, il aurait pu être construit de manière plus fonctionnelle, mais la priorité ne semble pas avoir été le confort des résident.e.s.

Ni Explorations Architecture, ni Eiffage n’ont répondu à mes sollicitations. Le directeur associé d’Oskaprod, Bertrand Phélippeau, m’a accordé un entretien dans un agréable espace de coworking à Neuilly-sur-Seine. Insistant sur le fait que l’implantation du pavillon présente des défis, il me confie ne pas être surpris par les plaintes sur la chaleur, m’expliquant que la climatisation et les stores n’ont pas été introduits pour des raisons budgétaires. Par ailleurs, un renouvellement d’air filtré atténuerait les effets de la pollution. Bertrand Phélippeau confirme qu’il y a eu des problèmes importants lors de la construction de la cuisine par l’entreprise Eiffage. Cette dernière est d’ailleurs en procès contre la Fondation de la MdT qui estime qu’il y aurait eu plusieurs manquements notamment en ce qui concerne la cuisine et les rideaux. Concernant le bruit, il dit être surpris : « Nous avons vraiment mis beaucoup d’énergie dans l’analyse et les tests acoustiques parce que nous savions que le bruit était un défi majeur ». Il me montre des plans et des analyses, insistant que le vitrage le plus adapté aurait été utilisé. « Ces fenêtres devraient affaiblir le bruit extérieur de 45 décibels ».

Pourquoi alors les résident.e.s se sentent-iels aussi dérangé.e.s ? Bertrand Phélippeau : « Je comprends que les bruits émergents – pompiers, ambulances – ou la chaleur, mènent à une sensibilité accrue au sentiment général d’inconfort ». Il évoque que le bruit de l’autoroute semble aussi fort par manque de bruit de fonds, insistant que les murs isolent bien. Après vérification dans les chambres de l’autre côté du bâtiment, j’ai découvert qu’il s’agit d’un mythe : en effet, le bruit du périphérique noye simplement tout autre bruit.

Un bruit nocif à la santé

De retour dans ma chambre, j’ai mesuré le bruit moyen, fenêtres fermées, avec une application. A 18.30 h, il s’élève à 55 décibels, avec des maximums à 89 décibels. Entre minuit et une heure du matin, la moyenne est toujours de 51 décibels. Pourtant, le Ministère français de la Santé[6] constate qu’un bruit constant de 40 décibels est susceptible d’entraîner des troubles de sommeil, ainsi que des troubles de concentration. A partir de 55 décibels, le risque de contracter des maladies cardiovasculaires augmente drastiquement.

J’ai également découvert qu’une de mes deux fenêtres ne ferme pas correctement, je peux presque faire passer mon doigt. Dû à la transmission par ondes sonores du son, un petit trou dans l’isolation acoustique rend tout le système inutile. Par conséquent, même avec le meilleur vitrage, je suis exposée au bruit du périphérique toute la journée. J’ai envoyé un mail à la direction, la seule réponse que j’ai obtenue : « Merci pour le signalement. Nous ferons le nécessaire comme nous vous l’avons exprimé et n’hésitez pas à nous signaler toute anomalie. Bonne continuation », puis plus rien, malgré des rappels.

Noor et Mokhtar me racontent qu’iels ont confié leurs problèmes à la direction – comme moi sans succès, sans même avoir le sentiment d’être pris au sérieux.

Que dit la direction ?

Le directeur de la MdT, Tahar Battikh, m’a accueilli dans son bureau, avec la directrice adjointe, Djamila Bilek et la responsable du PHB, Dorra Louzili. Si j’avais craint une atmosphère de confrontation, le ton était agréable. Durant l’entretien, la direction a préféré mettre en avant la bonne ambiance à la maison, le budget élevé du comité, les événements culturels, les cadeaux comme des plats gratuits et « même des roses pour les filles le 8 mars », comme le souligne Djamila Bilek.

Léo confirme : « Si je dois dire des choses positives, l’ambiance à la maison est bonne. Il y aussi des événements culturels gratuits, donc oui, j’ai aussi profité de mon séjour ». Pour Noor, « il faut faire la différence. L’administration fait de très bons trucs pour nous. Par ailleurs, on ressent la présence de l’État tunisien à travers notre direction. Mais concernant l’architecte, pour moi, si tu n’arrives pas à faire un immeuble où les gens se sentent à l’aise, tu n’es pas un architecte ».

Confronté aux problèmes, le directeur essaye de me convaincre que le bâtiment est « un succès global », ajoutant « peut-être avec quelques petits défauts de jeunesse ». Il insiste : « Selon moi, 80 à 90 pourcent des résidents sont satisfaits. Cela se voit aussi par la forte demande et par le fait que nous sommes complets », ajoutant : « fenêtre fermée, il faut vouloir entendre le bruit ». Il explique que la direction avait introduit la règle : la première année, les résident.e.s sont dans des chambres orientées vers le périphérique, puis iels peuvent changer. Si une telle règle a été introduite, cela ne veut-il pas dire qu’il est au courant du problème ? Djamila Bilek avoue que les résident.e.s ne connaissent pas les chambres avant de venir, et beaucoup d’entre eux demandent de changer lors de leur arrivée – comme Noor qui constate : « Sur les photos, ça avait l’air bien. Mais quand je suis venue ici, je l’ai regretté. La direction sait qu’on a pas le choix, donc ils jouent sur ça, ils disent que c’est un privilège d’habiter ici. Je pense que ce n’en est pas un car si j’avais un garant, je pourrais prendre un meilleur appart. Mais c’est dur à Paris, d’autant plus pour une étrangère. »

Si Dorra Louzili admet « nous ne nions rien [des problèmes] », la direction donne la faute à l’entreprise de construction, Eiffage. Djamila Bilek explique : « Pour la durée du procès, l’administration est bloquée, nous ne pouvons pas faire des travaux ».

Bertrand Phélippeau dit avoir négocié un accord avec Eiffage, mais que la Fondation de la MdT aurait préféré traiter le cas devant un tribunal. Il regrette que, le procès étant lent, ce sont les résident.e.s qui en souffrent.

La direction se trouve dans une situation difficile qui n’est pas de leur faute et où tout le monde se plaint, alors qu’elle n’a pas beaucoup de possibilités d’agir. Pourtant, ne serait-il pas important dans un premier temps de prendre au sérieux les plaintes ? Si une résidente dit qu’elle pense que sa fenêtre ne ferme pas correctement, à quelques mètres d’une autoroute, si elle dit que le bruit dépasse largement la limite recommandée par l’OMS et le Ministère de la Santé, si les résident.e.s disent ne pas pouvoir dormir, si les plaintes s’accumulent, la direction, ne devrait-elle pas au moins envoyer un technicien pour s’assurer qu’il n’y ait pas de problème ?

Si le directeur parle d’ « un succès global malgré quelques petits défauts de jeunesse », pour les résident.e.s auxquels j’ai parlé, il s’agit de problèmes structurels. Léo s’énerve : « Il ne s’agit pas d’un immeuble fonctionnel en général. Vraiment, on a l’impression qu’ils voulaient faire un immeuble avec une belle façade et après ils se sont souvenu qu’il fallait faire une résidence étudiante. Si tu offres une chambre à 510€, tu dois offrir une chambre vivable ». Il conclut : « En résumé, cette maison a beaucoup de bonnes choses, beaucoup de mauvaises choses et quelques mauvaises choses qui rendent la vie insupportable ». Noor conclut : « Je trouve que, architecturalement, c’est raté. C’est un espace pour être je ne sais pas quoi, mais pas pour y vivre ».

***

Un sondage auprès des résident.e.s

Suite à l’absence de réponse de la part du directeur Tahar Battikh et du service de communication de la cité à ma demande d’accès aux sondages d’évaluation, j’ai diffusé un formulaire (https://forms.gle/8dZam9cSapVGcLP5A) aux résident.e.s qui pouvaient y répondre de manière anonyme, entre le 22 septembre et le 02 novembre 2021. Parmi les 108 réponses (toutes les maisons à la ciup), 16 sont des résident.e.s du PHB, dont 9 côté périphérique. Le sondage est loin d’être représentatif, mais il nous illustre comment les résident.e.s se sentent et montre qu’il y a des différences entre les deux côtés de la maison. Voici quelques des résultats :

Diagramme 1. À la question : Comment évalues-tu la cuisine ? 0 disent “très bien”, 0 “bien”, 8 “moyen”, 3 “mauvais” et 5 “très mauvais”.

***

***

Diagramme 2. À la question : Es-tu satisfait.e avec ta chambre ? (de 1 : pas satisfait.e du tout, à 5 : complètement satisfait.e), la moyenne parmi les résident.e.s côté périphérique est de 2,1 alors que la moyenne côté parc s’élève à 3,6.

Par ailleurs, alors que la plupart des résident.e.s côté parc qui ont donné des réponses disent travailler dans leurs chambres, 6 sur 9 des résident.e.s côté périphérique disent “J’aimerais bien étudier dans ma chambre, mais je n’y arrive pas car la chambre / résidence n’est pas adaptée”.

***

***

Diagramme 3. À la question : Comment évalues-tu ton sommeil dans ta chambre ? (de 1 : très mal, à 5 : très bien), la moyenne parmi les réponses des résident.e.s côté périphérique s’élève à 1,44 alors que la moyenne côté parc s’élève à 3,7.

Par ailleurs, 9 sur 9 des résidents vivant côté périphérique évoquent comme cause d’un mauvais sommeil (plusieurs choix possible) le périphérique, 7 sur 9 la température, 6 sur 9 qu’il y a trop de lumière et seulement une personne évoquent des raisons personnelles / de stress.

***

***

Diagramme 4. À la question : Dors-tu mieux ou moins bien à la cité qu’ailleurs?, 8 sur 9 résident.e.s côté périphérique disent dormir “clairement moins bien à la cité” et 1 “un peu moins bien à la cité” alors que côté parc, 1 sur 7 dit “un peu moins bien à la cité”, 2 “clairement moins bien à la cité”, 2 “à peu près pareil”, 1 “mieux à la cité” et 1 “beaucoup mieux à la cité”.

***

***

Diagramme 5 : Santé. Question : As-tu l’impression que la chambre est bien pour ta santé ? La plupart des personnes vivant côté périphérique craignent des effets sur leur santé. Par ailleurs, à la question sur les raisons, 6 sur 9 évoquent le bruit, 6 sur 9 le manque de sommeil et 3 sur 9 la pollution.

***

légende photos et diagrammes : © Mariette Pfister, 2021

***

***

***


*Tous les noms des résident.e.s ont été changés par la rédaction. L’entretien de Léo* a été mené en anglais et traduit en français par la rédactrice.

[1] Cité Unie : Le nouveau pavillon de la maison de la Tunisie – lettre d’une résidente, 2021.

[2] Chroniques d’architecture : Courrier du cœur – Pavillon Bourguiba, une calligraphie qui en met plein la vue.

[3] Organisation Mondiale de la Santé : Environmental Noise Guidelines for the European Region – Executive summary, 2018.

[4] Ministère de la Santé français : Prévention des risques liés au bruit, 2020.

[5] NIH : Artificial light during sleep linked to obesity, 2019.

Vous devriez également aimer
Lire l'article

Merveilles du métro

Paris, Ville-Lumière, est connue pour briller par ses musées modernes et anciens, ses monuments grandioses, son architecture haussmannienne…