L’expérience psychédélique : un coup de pied dans la fourmilière du Soi

©Pixabay

Les psychédéliques et leur utilisation thérapeutique connaissent une nouvelle renaissance. Une révolution dans le champ de la santé mentale ?

Imaginez le chemin que prend l’information dans votre cerveau comme une trace de luge dans la neige. Plus l’on prend certains chemins, plus ceux-ci seront renforcés et facilement empruntés depuis le haut de la colline. C’est par ce biais que nous construisons des filtres de perception et de traitement émanant d’habitudes neuronales se renforçant elles-mêmes et ordonnant notre monde subjectif. Les substances psychédéliques agissent comme disrupteurs de cet ordre en appliquant une couche de neige fraîche sur l’ensemble de la colline, ce qui permet à l’information d’emprunter des chemins inédits et de connecter des zones du cerveau ne communiquant habituellement pas (voir illustration ci-dessous). 

Bien que l’ordre hiérarchique cérébral soit nécessaire à notre survie, il débouche souvent sur une organisation contre-productive pour la personne. L’expérience psychédélique permet donc de s’extraire temporairement de cette organisation spécifique dans une explosion de diversité neuronale.

L’intégration de cette expérience mène à reconsidérer des pensées, affects et croyances, rendant possible des changements tant rapides que profonds.

Les substances psychédéliques et leur potentiel thérapeutique

Les drogues psychédéliques, ces substances souvent associées à une utilisation récréative dans les milieux de la contre-culture américaine des années 1960, sont de plus en plus employées en laboratoire pour chercher de nouvelles pistes de traitement. Les scientifiques redécouvrent ce que beaucoup considèrent comme l’étonnant potentiel thérapeutique de ces substances pour un large éventail de problèmes psychiatriques. Une récente vague d’intérêt a ainsi captivé toute une nouvelle génération de chercheurs, d’aficionados et d’investisseurs, entraînant dans son sillage une certaine méfiance à l’égard de promesses pouvant sembler un peu trop belles pour être vraies. 

La recherche psychédélique n’est pas sans précédent. Nous assistons à la renaissance d’un domaine qui a prospéré il y a plusieurs décennies, à partir de 1943, lorsque le chimiste suisse Albert Hofmann synthétisa le LSD et découvrit ses propriétés psychoactives extraordinairement puissantes tandis qu’il cherchait un stimulant respiratoire. Alors que les substances hallucinogènes sont utilisées par des nombreuses cultures depuis des millénaires dans le cadre de rituels, ce n’est pourtant qu’après la révélation d’Hofmann qu’elles firent l’objet de vastes recherches scientifiques. Tout au long des années 50 et 60, des centaines d’expériences psychédéliques furent menées, impliquant des dizaines de milliers de patients. Ces recherches furent appliquées à un large éventail de problématiques comme la dépression, les syndromes post-traumatiques, ou l’alcoolisme.

À partir de 1960, les psychologues de Harvard Timothy Leary et Richard Alpert ont mené des expériences peu orthodoxes sur les hallucinogènes pour finalement les promouvoir comme étant des agents d’élargissement de la conscience devant être accessibles à tous. Le LSD s’échappe alors de la sphère du laboratoire et se répand rapidement parmi la jeunesse américaine, contribuant à certains des bouleversements politiques et culturels des années 60 et, selon certains, menaçant l’ordre social. Cette drogue est alors décrite comme un déclencheur de manie et de violence, et Hofmann finit par déplorer qu’une « utilisation incorrecte et inappropriée a fait du LSD mon enfant à problèmes ». Ainsi, au début des années 1970, l’ensemble du domaine de recherche est fermé, le reléguant aux archives de l’histoire de la psychiatrie. 

Illustration des connexions neuronales détectées avec placebo (a) ou psilocybine (b) ©Journal of Royal Society Interface

La Renaissance

Il a fallu attendre 2007 pour qu’un essai clinique sur les psychédéliques soit à nouveau approuvé, en Suisse, suite à près de 40 ans de prohibition. Deux ans plus tard aux USA, la Food and Drugs Administration (FDA) suit le mouvement et valide des protocoles de recherche sur le potentiel du LSD dans le traitement de l’anxiété. La FDA accorda par trois fois le statut de “Breakthrough Therapy” à la MDMA et à la psilocybine (principe actif des champignons hallucinogènes). Cela a permis une accélération de la recherche à leur sujet au vu de leur grand potentiel thérapeutique, notamment pour les syndromes post-traumatiques (PTSD) et les dépressions résistantes aux traitements respectivement. 

Depuis, initiatives et acteurs se développent et contribuent à l’expansion explosive du domaine. La Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies (MAPS), l’institution instigatrice des essais cliniques sur la MDMA dans le cadre du traitement des syndromes post-traumatiques, vient d’achever la collecte des 60 millions de dollars nécessaires à la complétion de la dernière phase des essais cliniques. Une fois les résultats validés, la possibilité de prescrire une thérapie assistée par psychédélique deviendra très probablement une réalité, entraînant dans son sillage la nécessité de proposer des formations, ainsi que de considérer les implications théoriques et pratiques des substances psychédéliques dans le champ de la santé mentale.

Des promesses de plus en plus fondées

Les travaux en cours visent à appliquer les normes de rigueur scientifique les plus strictes. Dans un domaine se rapprochant parfois inconfortablement du mysticisme et s’étant fortement appuyé sur des rapports subjectifs, réintroduire une rigueur scientifique maximale est en effet primordial pour démontrer la validité des résultats, en particulier face à un public, scientifiques compris, empreint de préjugés. Cette rigueur s’accompagne aujourd’hui de résultats cliniques parfois révolutionnaires, eux-mêmes contribuant à la construction bienvenue de nouveaux paradigmes quant à la compréhension de l’expérience humaine, de la santé mentale et de son substrat neurologique.

Une méta-analyse compilant les résultats d’essais cliniques randomisés en double aveugle contre placebo évaluant l’efficacité de la thérapie assistée par psychédélique fut publiée dans le Journal of psychoactive drugs en 2020. Les analyses montrent une taille d’effet de ce mode d’intervention supérieure aux autres types d’interventions pharmacologiques et thérapeutiques pour quatre troubles : syndrome post-traumatique, anxiété associée à des maladies menaçant la vie, dépression unipolaire et anxiété sociale chez des adultes autistes. Le potentiel des substances psychédéliques semble important pour de nombreux autres troubles en cours d’étude.

Prenons l’exemple des patients présentant des traumatismes majeurs. Ceux-ci sont particulièrement rigides dans leurs rapports à cette part d’eux-mêmes. A tel point qu’il est souvent impossible pour eux d’en parler sans déclencher une crise d’angoisse empêchant toute évolution. La MDMA intervient alors en réduisant la réponse de stress à l’évocation de souvenirs douloureux tout en favorisant des réactions émotionnelles et intellectuelles inédites. Le Dr. Saj Razvi, psychothérapeute et examinateur des essais cliniques sur la MDMA de la MAPS a assisté à des centaines d’heures de sessions thérapeutiques avec de tels patients. Il souligne qu’elles peuvent être extrêmement éprouvantes bien que cela soit souvent nécessaire pour amener des évolutions émotionnelles qui, sans cela, prendrait un temps considérable à concrétiser.

L’expérience en elle-même ne suffit pas à des changements durables. C’est pourquoi l’intégration de cette dernière, encouragée et guidée par un thérapeute, est toute aussi importante. Après la fin des essais de phase 2 des traitements assistés par la MDMA en 2017, les chercheurs ont constaté que 54 % des patients ayant pris de la MDMA avaient vu leur état s’améliorer au point de ne plus correspondre au diagnostic de syndrome post-traumatique (contre 23 % dans le groupe contrôlé). En outre, les effets bénéfiques du traitement semblaient augmenter plutôt que de diminuer avec le temps. Un an plus tard, le nombre de personnes qui n’étaient plus atteintes de PTSD était passé à 68 %.

L’expérience psychédélique et sa portée thérapeutique viennent mettre en évidence l’importance de la confrontation de l’individu avec son monde émotionnel, si éprouvante qu’elle soit, prenant à contre-pied la tendance majoritaire actuelle en pharmacothérapie qui consiste à réduire les symptômes des patients de manière à les rendre plus ou moins fonctionnels. Une telle prise en charge permet certes aux patients d’évoluer en société avec une certaine autonomie, mais elle se fait au prix d’une dépendance à des substances dont les effets adverses ne sont pas négligeables, et impliquant une difficulté accrue à pouvoir initier une évolution affective profonde et porteuse de sens.

Le miracle est-t-il sans risque ? 

Bien que les psychédéliques présentent un important potentiel pour nombre de problématiques, leur utilisation systématique n’est pas sans risque et aucune expérience psychédélique n’est à prendre à la légère. Ces substances, quasiment sans potentiel addictif et dénuées d’effets neurotoxiques, peuvent cependant précipiter des états aggravant largement le cas des personnes les consommant. 

En plus d’un potentiel risque de précipiter des états psychotiques pour les personnes prédisposées, l’expérience psychédélique peut s’avérer contre-productive voire traumatisante lorsque le cadre proposé n’est pas adapté ou que la personne n’est pas prête à voir une partie de son monde représentationnel s’effondrer. De là sont nés les concepts de « Set » et de « Setting » qui sont à la base de la préparation d’un patient à l’approche de son expérience. Le premier renvoie à l’état d’esprit, l’état émotionnel et les attentes de la personne, tandis que le second renvoie à l’environnement physique et social au sein duquel le « trip » prend place. Comme pour toute personne souhaitant utiliser de telles substances dans un cadre récréatif, le thérapeute doit s’assurer que les conditions internes et externes soient optimalement adaptées à la personne sur le point d’entrer dans le monde surprenant qu’est le monde psychédélique.

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