La précarité alimentaire à la Cité U: symptomatique d’une génération ?

Même sous la pluie, les résident.e.s attendent pendant une heure ou plus la distribution de nourriture des Restos du Coeur à la maison internationale. © Mariette Pfister, Mars 2021

Alors que nous prenons conscience que la crise sanitaire va durer, l’impact économique du Covid19 continue de se faire ressentir. Tandis que des fonds d’aide d’urgence sont débloqués par les universités, les écoles et la Cité U, la file devant la maison internationale pour la distribution alimentaire des Restos du Cœur ne cesse de croître. 

La précarité alimentaire étudiante n’est pas un phénomène nouveau, ni éphémère. Il est inscrit depuis des années dans le paysage universitaire français et est sujet à de nombreuses revendications par les syndicats étudiants. En 2019, 74 % des 18-25 ans interrogés estiment avoir rencontré des difficultés financières (sondage IPSOS). Selon l’Observatoire de la vie étudiante, la même année, 46 % des étudiants travaillent pendant l’année scolaire, et 54 % d’entre eux estiment que leur emploi est indispensable pour vivre.

Les espoirs d’une crise rapide et passagère s’amoindrissent. Si  les difficultés financières sont symptomatiques du statut étudiant, le prolongement de la crise cette année 2021 les a exacerbées à un niveau historique. 

Une prise de conscience collective 

L’article du Monde du 8 Novembre 2020 a marqué les esprits : la précarité des étudiants internationaux à la Cité U mise en lumière par un quotidien français de référence a créé une mini onde de choc, ou il est révélé que « Depuis la rentrée, la demande d’accompagnement social a bondi de 154 % par rapport à l’année dernière ». 

Beaucoup d’étudiants, y compris moi même, ont pris conscience de la situation qui se profilait chez nous. Ce qui se disait tout bas a commencé à être crié tout haut : les étudiants sont de plus en plus précaires, et certains n’ont même pas assez pour se nourrir. L’aide alimentaire d’urgence des Restos du Coeur est devenue vitale pour des centaines d’étudiants. Les inscriptions aux distributions atteignent les 1050 étudiants par semaine où plus de 600 paniers sont distribués (chiffres de début mars). Dans un entretien avec Cité Unie, Sofiane, bénévole aux restos du Coeur témoigne : « depuis que je suis arrivé aux Restos du Coeur (n.d.l.r en novembre 2020), le nombre d’étudiants qui viennent pour la distribution augmente toutes les semaines. On a été obligés de créer une autre permanence pour répondre à la demande ». 

La file interminable devant le théâtre de la cité, même sous la pluie et dans le froid, est presque irréelle. Des centaines d’étudiants attendent seuls ou avec leurs amis, dès 17h30 avec des sacs en toile. Si on entend des rires et des discussions, la majorité de la file est silencieuse, attendant patiemment que la distribution commence.  

Les Restos du Coeur sont pour la première fois installés à la Cité Universitaire, une première qui en dit long sur la précarité des étudiants, en majorité étrangers. Valentina, étudiante colombienne en master de droit, me confie : « je vais à la distribution depuis que je suis arrivée à la Cité U en décembre ». Les étudiants, dès leur arrivée, sont dépendants de la distribution alimentaire et y assistent régulièrement, en majorité toutes les semaines. 

Les étudiants de plus en plus précaires 

Selon la sociologue Agnès Pitrou, une personne est considérée comme précaire lorsqu’elle n’a aucune maîtrise sur son avenir. Les étudiants ont vu le leur sombrer dans l’incertitude, au gré des confinements – déconfinements – reconfinements. En plus de peser sur la santé psychologique, ces contraintes posent des problèmes financiers. Les étudiants ne peuvent plus se reposer sur des jobs dans la restauration ou dans les bars pour subvenir à leurs besoins. Anton*, étudiant russe raconte : « I came to France in August and Paris was much more expensive than expected, so I took a job as a barman in Chatelêt. I lost it in October with the lockdown and now I’m struggling to find a job ». 

De nombreux étudiants obtiennent des bourses d’étude, basées sur le mérite ou sur des critères sociaux. Mais souvent, ces bourses ne suffisent pas pour vivre à Paris, une des villes les plus chères du monde. Sans aide des parents, qui sont parfois touchés directement par la crise économique dans leur pays, les étudiants se retrouvent avec très peu d’argent pour vivre chaque mois après le loyer payé.  Anton* recevait de l’argent de ses parents, qui tiennent une agence de voyage à Saint-Pétersbourg, mais depuis la crise, leur agence est en faillite. Ses parents n’ont pas pu lui en envoyer : « I thought I could count on my parents to help my finances but they struggle on their own, so I need to deal with it by myself ». 

D’autres étudiants, comme Valentina, ne comptent pas sur l’aide alimentaire pour manger, mais la distribution les aide à limiter leurs dépenses dans les produits de première nécessité.  Valentina n’a pas perdu son travail dans la restauration au cours des deux confinements successifs, ce qui lui permet de souffler un peu. 

Pour d’autres, comme Youssouf, ingénieur stagiaire et résident au Collège Franco-Britannique, la situation est critique: « je me suis rendu compte en décembre que je n’avais pas assez pour manger le midi et le soir. Je sautais des repas et je mangeais que des pâtes. Je ne voulais pas aller à la distribution parce que je pensais que ça allait s’arranger, que j’allais trouver un travail, mais avec le stage c’est impossible de trouver du travail avant 18h. Au final j’y vais toutes les semaines en plus d’autres distributions dans Paris ». Youssouf précise que se déplacer et attendre dans le froid plusieurs fois par semaine pour manger l’a déprimé, puis il s’est fait des amis : « maintenant je retrouve toujours les mêmes personnes toutes les semaines, c’est cool ». 

Le repas à 1 euro au Crous : une mesure suffisante ? 

Le cas de Youssouf n’est pas isolé. De nombreux étudiants étaient dans une situation de précarité alimentaire au mois de novembre et décembre, épuisés financièrement. La décision du gouvernement français de baisser le prix des repas du CROUS à 1 euro à partir de fin janvier a été saluée par les étudiants et les élus étudiants, mais jugée insuffisante face à la crise. 

Sofiane note que cette mesure n’a pas fait décroître les inscriptions aux distributions. Il dénonce, comme d’autres étudiants, la qualité des repas qui s’est détériorée depuis la baisse des prix, et que ça ne peut pas constituer la seule base alimentaire des étudiants. 

Sarah, étudiante française et résidente à la maison des Provinces de France atteste: « on a peut-être eu des repas à 1 euro mais je ne suis pas sûre que ça change grand chose. On ne peut pas être dépendants du Crous ou des aides pour se nourrir pendant toute la durée de nos études. On a besoin de travailler et de reprendre notre vie. Sinon on va tous devenir fous ».

Un avenir flou pour toute une génération  

De nombreux étudiants de la Cité U s’interrogent sur leur avenir. Peut-on parler de « génération sacrifiée » comme entendu dans les médias ? Emmanuel Macron l’a dit dans une allocution télévisée : « c’est dur d’avoir 20 ans aujourd’hui ». 

J’ai demandé aux étudiants de la Cité ce qu’ils en pensaient. Sofiane est optimiste sur la crise alimentaire « la fin du couvre feu va provoquer une baisse du recours à l’aide alimentaire car les étudiants vont pouvoir travailler ». Il est aussi optimiste sur son avenir : il a décroché un stage, comme la plupart de ses camarades de classe. 

Marilla, étudiante  en études européennes, ne voit pas l’avenir sous un jour meilleur : « on est dans notre vingtaine et on est tous confinés, même quand on n’est pas en vrai confinement. Sans la vie sociale, avec les cours en visio c’est vraiment dur de survivre ». 

Marilla pointe du doigt un ressenti partagé par de nombreux résidents de la Cité U, qui mènent une existence précaire, comme réduite aux seuls besoins biologiques. Attendre des heures dans le froid pour manger, se couper des liens sociaux, jongler entre cours sur Zoom et petits boulots alimentaires rend les étudiants fragiles. Anton* ajoute : « I have online classes all day, then I need to go to several ‘distributions’ to eat, and then I come back before 6pm. It’s a pretty sad life ».

Un vent d’espoir à la Cité U  

Youssouf me confie « j’ai hésité à abandonner mes études ici et retourner chez mes parents. Mais il n’y a rien là bas, pas d’avenir. Alors je préfère rester ici et essayer de me battre. Si je peux avoir un CDD après mon stage je serais bien. J’aurais plus d’argent qu’avec le stage ». Il ajoute que vivre à la Cité U avec tous les étudiants étrangers est une chance qui lui donne de l’espoir : « on s’entraide et on partage la nourriture. Maintenant on n’a plus honte de dire qu’on arrive pas à manger ».

Cependant, la plupart des résidents de la Cité U restent optimistes. Sarah le dit, notre génération va en sortir plus forte : « aujourd’hui on est plus maîtres de notre destin, mais on va le reprendre en main. Bientôt toute cette histoire sera derrière nous ».

(*) les prénoms ont été modifiés par la rédaction

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