Ruptures. Critique de film

© Inès Moutachaker

Ce documentaire est réalisé et vécu par Arthur Gosset, 24 ans, jeune ingénieur récemment diplômé de Centrale Nantes. Jusque là, une histoire normale. Pourtant, Arthur après le marathon que représente la voie des classes prépa / grandes écoles françaises, a choisi de ne pas franchir la ligne d’arrivée. Il nous raconte ainsi comment il s’est retrouvé jeté au monde à sa sortie d’école. Un monde déchiré par les conflits, les inégalités, un monde où chaque jour l’urgence climatique se rappelle à nous. Un monde dans lequel il ne trouve pas sa place et face auquel il a décidé, à sa manière, d’entrer en rupture.

De l’incompréhension à la Rupture

Cette volonté de rupture unit Hélène, Thomas, Aurélie, Maxime, Emma, ou Romain dont le film suit la rupture sur l’autoroute de la réussite que sont les Grandes Écoles françaises. Durant un an, Arthur endosse le rôle de documentariste et nous permet ainsi de vivre de ces introspections. Il nous livre à travers la caméra ses doutes, lorsque, comme beaucoup de jeunes, il se retrouve face à la question de son avenir. Une question longtemps évincée dans ce type de parcours où chaque étape est dictée par l’excellence puisque de toute façon ces voies ouvrent « toutes les portes ».

Encore faut-il savoir laquelle choisir. On a promis à Arthur comme à ses camarades que la réussite scolaire puis universitaire menait à une carrière passionnante, une vie sociale épanouie et à un métier qui fait sens ; bref à tous les aspects de la réussite. Pourtant, face à un monde qui va de plus en plus mal, Arthur réalise que rien ne lui a été dit sur l’impact qu’il pourrait et devrait avoir face aux enjeux actuels. Passionné par les baleines, Arthur est depuis toujours un écologiste convaincu ; il assiste impuissant à la détérioration de leur habitat et à l’accroissement effréné du nombre d’espèces qualifiées de menacées. Pourtant, dans l’éventail des choix qui lui sont proposés à sa sortie d’école, aucun ne semble faire sens. Aucun ne lui permet d’allier un rôle d’ingénieur et celui d’un citoyen engagé dans la lutte contre le réchauffement climatique. Dans un monde avide de productivité, de consommation, de croissance, Arthur ne trouve pas sa place. Il se sent, à sa sortie d’école, jeté dans un monde qu’il ne comprend pas : acculé et impuissant, face au choix d’une carrière.

Panser et repenser le monde pour y trouver sa place   

La réaction d’Arthur est alors de rompre avec l’ordre établi, de ne pas occuper le job de rêves qui lui était promis, mais de réaliser un documentaire sur cette génération incomprise. Documentaire qu’il dédie à ses parents qui ont du mal à comprendre un choix si radical de leur fils.

On y découvre comment Aurélie, jeune polytechnicienne, va décider de fonder son entreprise qui prône un mode de vie minimaliste, à rebours de l’injonction à la sur-consommation portée par les grands groupes auxquels son parcours la destinait. Thomas, jeune étudiant à Sciences Po, va s’engager dans l’organisation d’actions pour sensibiliser aux enjeux sociaux et environnementaux. Cette activité va prendre de plus en plus de place dans sa vie, jusqu’à l’éloigner de la possibilité d’occuper un emploi “classique”. Hélène va quant à elle faire l’expérience la plus violente de rupture. Jeune diplômée d’une école de commerce, elle renonce à un CDI dans un groupe alimentaire. Alors qu’elle occupe son premier emploi dans le monde de la grande distribution, elle réalise que son métier n’a ‘aucun sens’ et n’en aura jamais, qu’elle ne fait que prendre part à la valse interminable d’un cycle sur-stockage/déstockage/gâchis.

Ruptures, coup de coeur du jury du Festival de Canne (2021) et coup de coeur tout court tant il résonne de sincérité, on y découvre, à travers le regard et les doutes d’Arthur Gosset, comment toute une génération fait face à la désillusion qui est loin de ne toucher que le microcosme des Grandes Ecoles.

Réunir au-delà des ‘Ruptures’

Dans une société fragmentée, où les questions de l’urgence climatique, de justice sociale et de responsabilité environnementale occupent et préoccupent désormais, on assiste à la difficile transition vers la rupture d’une jeune génération qui ne trouve pas sa place. Source de pessimisme voire d’anxiété, ces réalités deviennent difficiles à ignorer : peut-on vivre heureux dans un tel monde, laisser ses valeurs tous les matins en partant au boulot pour les retrouver sagement posées au coin de la cheminée tous les soirs ?  
Face à ce constat, c’est à l’action, à la pédagogie et à la quête d’un combat commun que pousse Arthur Gosset à travers ce documentaire. Loin de prôner un immobilisme ou une rupture violente qui ne mènerait qu’à un éclatement entre des générations qui ne se comprennent plus, le documentaire montre comment comprendre et transmettre pour agir ensemble et redonner un avenir aux espoirs brisés de toute une génération. C’est effectivement à ses parents, avec qui le dialogue est parfois difficile comme on le découvre dans le documentaire, qu’Arthur dédie ce film. Mieux que de longues explications, Arthur leur montre les coulisses de ses doutes et signe une introspection touchante dont la plus belle des conclusion a été la réaction d’une femme assistant à la projection à mes côtés : alors que je disais avoir trouvé particulièrement inspirant et touchant l’un des parcours à la personne qui m’accompagnait, elle a souri en nous disant “c’est ma fille !”. Et il y avait dans son sourire la meilleure des récompenses que ce film puisse recevoir !

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