De la réaction à l’éducation.
Lors d’événements historiques où la population est confrontée à l’urgence, comme par exemple en Afghanistan en août dernier, les réseaux sociaux jouent un rôle de plus en plus important. Ils rendent visibles presque en temps réel la détresse d’une population. Mais pour éviter que l’urgence ne se transforme en buzz, l’éducation semble jouer un rôle clef dans l’appréciation des événements en train de se produire.
Avec l’essor de la numérisation de l’information, lorsqu’une catastrophe se produit quelque part sur le globe, l’on peut en être informé rapidement. Tout un processus se déclenche et les images illustrant les faits se diffusent à vitesse grand V. Les réseaux sociaux sont alors envahis de photographies ou de vidéos inédites qui nous permettent d’observer ce qui nous semblait si éloigné d’un peu plus près. Dans notre monde agencé par de multiples interdépendances, les conséquences d’une urgence d’un côté de la planète se répercutent jusque de l’autre côté du globe.
Face à un fil d’actualité alimenté par un même événement qui semble si proche, l’on ne sait comment réagir. Les récents événements en Afghanistan ont certes marqué la communauté internationale, mais également les utilisateurs des réseaux sociaux, vecteurs majeurs de l’information à l’échelle globale. La vitesse de transmission des informations a changé la donne et les sources rapportant les faits se sont multipliées. Des événements peuvent être relayés par des médias traditionnels ( journaux, chaînes de télévision ou de radio), sur les comptes de ces mêmes médias via les réseaux sociaux, mais également sur les comptes de médias alternatifs ou même de citoyens au plus proche des événements.
Les faits qui se sont produits en Afghanistan cet été permettent de comprendre le phénomène qui accompagne leur visibilité quasi immédiate sur les réseaux sociaux. Dès le 15 août 2021, lorsque les talibans sont entrés dans Kaboul, de nombreux Afghans se sont rendus à l’aéroport pour tenter de fuir leur pays se sentant menacé par le retour des talibans au pouvoir. Des vidéos filmant la foule en train d’envahir le tarmac, montrant même des personnes s’accrochant à des avions en train de décoller ont fait le tour du monde.
Des citoyens du monde entier, par l’intermédiaire des réseaux sociaux, se sont très vite indignés face à ces scènes de chaos. Pourtant, ce dernier était prévu depuis la signature des accords de Doha le 29 février 2020 entre les État-Unis et l’Afghanistan (dont les représentants des talibans). L’armée américaine a été dépassée par les évènements, comptant démesurément sur le soutien de l’armée afghane. La colère internationale, malgré le rapatriement des occidentaux, s’est éveillée face à une population loca le désemparée. Dès lors, ce sont les images officielles des armées qui sont apparues. Nos fils d’actualité ont ainsi affiché les photos de l’US Air Force montrant l’intérieur d’un avion de transport Boeing C-17 rempli de pas moins de 600 passagers. Les réactions des citoyens du monde entier semblaient avoir changé la donne et pouvaient donner lieu à l’action.
Le sentiment d’urgence vécu par les populations locales s’est transmis à d’autres citoyens du monde grâce aux réseaux sociaux et leur instantanéité. La visibilité d’événements éloignés a permis la création d’un sentiment d’empathie. Face à la réaction des Etats occidentaux qui, comme par exemple la France, ont accéléré d’une part le retrait de leurs forces armées et de certains ressortissants mais ont d’autre part fait part de leur crainte concernant “des flux migratoires irréguliers importants”[1] , des citoyens se sont indignés et ont pu agir à leur façon. Les appels à l’égard des gouvernements occidentaux pour faciliter les demandes d’asiles aux Afghans menacés par l’arrivée des Talibans aux pouvoirs se sont multipliés. La mobilisation a été particulièrement importante pour les femmes afghanes qui ont vu en quelques jours le peu de droits[2] dont elles bénéficiaient s’effacer avec la venue au pouvoir d’un gouvernement d’hommes hostile à l’émancipation des femmes, notamment à leur éducation. Les appels aux dons pour des associations comme Women for Afghan Women, ou Negar – Soutien aux femmes afghanes sont apparus sur les réseaux. En outre, des pétitions en ligne ont circulé pour que des Afghans obtiennent le droit d’asile en Europe et plus particulièrement ceux qui ont collaboré avec les occidentaux, dont la vie a ensuite été menacée par le retour des talibans : cuisiniers, collaborateurs culturels, traducteurs, etc..
Ce passage de l’émotion à l’action a pu s’effectuer par le prisme de l’éducation. Les appels à l’instruction de la part d’intellectuels, de personnalités politiques ou des Afghans eux-mêmes ont été nombreux afin de comprendre les différents enjeux à l’œuvre en Afghanistan. Les jeunes générations ont pu investir l’histoire et remonter la genèse des interventions américaines dans cette région du globe. Cette mise en perspective a certainement rendu possible une prise de conscience dans l’histoire de l’interventionnisme des Etats-Unis. Plus encore, l’éducation a certes engendré l’action citoyenne mais a également renforcé le développement d’une certaine empathie. Les réseaux sociaux véhiculent peut-être leur flot de fake news, mais ils ont le mérite, dans une telle situation, de rendre visible ce que nous ne pouvons pas voir ou ce que nous ne voulons pas voir directement. Cette visibilité nous encourage à nous informer plus précisément à partir de différents supports pour agir plus justement.
Toutefois, cet emballement autour d’une cause ne dure qu’un temps. L’urgence investit l’espace médiatique dont font désormais partie les réseaux sociaux mais elle est vite estompée par une nouvelle urgence, par un autre évènement. Si l’urgence mobilise une large communauté grâce aux réseaux sociaux, le flux d’information auxquels ils sont soumis ne laisse pas de place au temps long. L’action ou la réaction ne s’inscrivent pas durablement dans le temps ou du moins leur visibilité n’est celle que d’une courte période. L’empathie que nous éprouvions à l’égard d’une population est comme remplacée. Les images qui nous ont d’abord informés semblent disparues de l’imaginaire collectif.
L’urgence a une dimension temporelle, il faut agir vite et elle doit être traitée au plus vite. Lorsqu’elle est prise en compte, tout l’enjeu est de ne pas en faire un simple point sur une frise chronologique mais de garder l’évènement en mémoire. L’engouement instructif qu’a par exemple suscité le retrait des troupes américaines en Afghanistan est certainement le point positif à retenir de cet évènement largement partagé. L’éveil des consciences est rapide et intense grâce aux réseaux sociaux mais s’il se prolonge, c’est grâce à une volonté d’en apprendre davantage. Une urgence ne tombera alors pas dans l’oubli comme le buzz mais constituera un événement marquant de l’histoire.
[1] Paroles prononcées par le Président français Emmanuel Macron dans son allocution du 16 août 2021
[2]Par exemple, le droit à l ‘éducation des femmes avait fait un net progrès sous le gouvernement soutenu par les Etats-Unis. Le taux d’alphabétisation des femmes, âgées de plus de 15 ans, était de 30% en 2017 ( la moyenne mondiale est de 83%). Source: UNESCO 2017