“J’veux du soleil » est le titre du dernier documentaire de François Ruffin, député de la France insoumise. Le mouvement des Gilets jaunes qui a commencé le 17 novembre 2018 en est à son 25e acte. Parmi les revendications, figurent le RIC (référendum d’initiative citoyenne), le rétablissement de l’ISF (impôt sur la fortune) ou encore l’instauration d’un impôt sur le revenu plus progressif. Cependant une grande absente se fait sentir : la culture. Pourtant, ne serait-elle pas une des solutions au problème ? C’est ainsi que l’a affirmé Jacques Attali dans sa tribune J’veux de la culture ? dans le Journal des arts le 16 janvier dernier. Accompagné du réalisateur Gilles Perret, le « député-reporter » comme il se qualifie, nous emmène visiter la France des ronds-points. De zone d’activité en zone d’activité il nous emmène dans cette France où les parkings et autres centres commerciaux remplacent musées et salles d’exposition.
Sans affirmer de façon aussi explicite que dans The Huffington Post avoir visité « les endroits les plus pourris de France », on décèle un certain désarroi dans le regard du député insoumis. « En plus de la misère économique et sociale, on a l’impression qu’ils [les Gilets jaunes] ont droit à une misère esthétique ». Cette phrase fait écho à une phrase d’une des Gilets jaunes du film. En effet contre toute attente, parmi des revendications plus « attendues » se glisse une discrète demande de culture. « Je n’ai même pas de quoi leur acheter des livres » affirme une maman Gilet jaune en parlant de ses enfants. « Ils ne veulent pas des marques, ils ne demandent pas ça » ajoute‑t-elle. « Le seul grand débat qui vaille : la culture pour tous ». Le grand débat qui a duré à peu près 3 mois a été instauré en réponse au mouvement des Gilets jaunes. L’économiste Jacques Attali a affirmé dans sa tribune : « Aucune solution au problème du chômage, de la justice sociale, de l’environnement même n’est possible sans une action sur la culture. Aucune réforme n’est plus importante que de trouver une façon de faire découvrir à tous et à chacun le plaisir infini de lire, de réciter des poèmes, de dessiner, de jouer d’un instrument de musique ».
Pourtant, la culture peut s’avérer être un « ascenseur social ». Lorsqu’on peut à peine s’acheter de quoi manger, il semble en effet difficile de se rendre à un concert, une exposition ou au cinéma. Le film le montre très bien : Loïc Lerouge, Gilet jaune, affirme « c’est parce que j’ai eu une pizza gratuite que j’ai pu manger sinon ça faisait trois jours que je n’avais pas mangé ». Outre un manque d’argent, il existe un manque de temps pour une population qui le consacre à essayer de survivre. À quoi sert la culture ? Mais alors, en quoi la culture peut-elle résorber les inégalités et répondre à des demandes d’ordre matériel ? Attardons-nous quelques instants sur la définition du mot culture.
Lorsqu’on regarde dans le dictionnaire, on trouve plusieurs sens. Dans un groupe social, elle se définit comme un ensemble de signes caractéristiques du comportement de quelqu’un (langage, gestes, vêtements, etc.) qui le différencient de quelqu’un appartenant à une autre couche sociale que lui : culture bourgeoise ou ouvrière. En sociologie, on la définit plutôt comme l’ensemble des aspects intellectuels, artistiques et des idéologies d’une civilisation ou d’un groupe particulier. Si nous assemblons ces deux définitions, l’importance de la culture peut nous apparaître plus évidente. Comment s’élever socialement, sans maîtriser les codes de la couche sociale qui détient les leviers de l’économie, de la finance et plus globalement de l’emploi ?
C’est ainsi que l’explique l’économiste dans sa tribune « Aujourd’hui, tout semble fait pour que nul ne ressente le besoin de culture. […] Pourtant, c’est par l’accès à cette culture que s’ouvrent les portes de la réussite économique et sociale. Bien plus que par la modification d’un taux de TVA ». La culture : seulement un divertissement ? Selon les chiffres du ministère de la culture, les ménages consacrent 1,9 % de l’ensemble de leurs dépenses aux biens et services culturels. Les dépenses liées au livre et à la presse écrite sont en recul constant : 42 % des dépenses en biens et services culturels ou connexes en 1980, contre 22 % en 2016. Hausse des dépenses consacrées aux sorties culturelles (spectacles, visites, musées) : 6 % en 1980, 10 % en 2016. Les dépenses en abonnements musicaux en flux (streaming) ont augmenté de 25 % en 2015. Des chiffres qui montrent que la culture est encore loin d’être en avant-poste des dépenses des Français. Pourtant même si on le sent de façon très discrète dans le film, la demande est là !
Cette année est émaillée de mouvements, celui des Gilets Jaunes n’est pas le seul à ébranler notre société, les revendications écologiques font de plus en plus sentir le besoin d’un changement de mode de vie, de culture. Quand on lui pose la question de l’apport de l’art dans ce combat Aurélien Barrau, astrophysicien et militant écologiste répond qu’il est « essentiel » ! C’est le levier qui permet « de rendre sensible et donc rendre possible ». N’est-ce pas cela que les Gilets jaunes cherchent à faire ? Rendre possible une « justice fiscale » ? Rendre possible le fait de pouvoir vivre de son travail ? Les écologistes ne cherchent-ils pas à rendre possible la survie de l’espèce humaine sur une Terre qui arrive à bout de souffle ? Et si finalement la solution c’était ça : sensibiliser pour réaliser ? Qu’y a-t-il de mieux pour sensibiliser que l’art, le cinéma, la culture ?