Des poupées sexuelles dans le XIVe

Lupanar, bordel, maison close. Interdits à la sortie de la deuxième Guerre mondiale, ces lieux de bacchanale sont aujourd’hui en passe de retrouver une nouvelle jeunesse. Découvrez cette adresse insolite qui a pris ses quartiers plus près que l’on ne pourrait le penser…

Préambule

Qui se serait attendu à trouver en plein coeur du XIVe arrondissement de Paris un lieu de « débauche organisée et patentée » ? Tels sont les termes de Marthe Richard, ancienne prostituée devenue conseillère municipale de Paris, envers ce que certains considèrent comme une maison close des temps modernes. La loi éponyme de 1946 imposa non seulement la fermeture des « maisons de tolérance » et abolit le régime de la prostitution, réglementée en France depuis 1804. Xdolls se définit comme « la première agence de poupées sexuelles en France ». Hautement controversé, cet endroit a fait rejaillir à la surface les polémiques d’antan en avril 2018 lors de l’annonce de l’installation.

Une maison close 2.0 ?

Remis au goût du jour, cet établissement flirte avec la législation en vigueur, du moins en France. Les tentatives des opposants pour imposer la fermeture ont fait chou blanc : la préfecture a écarté la piste du proxénétisme d’un revers de la main. Il n’est ici pas question de « prostitution d’autrui » ; un être inhanimé étant de facto exlu de cette considération juridique. Son fondateur, Joaquim Lousquy, un jeune entrepreneur à l’affût des nouvelles tendances, confie à Paris Match ce qui l’a amené à cette idée : « J’ai visité de vrais bordels aux quatre coins du monde, nous avoue-t-il, puis j’ai découvert l’existence de ces maisons closes de poupées. J’y suis allé. D’abord au Bordoll, à Dortmund. L’expérience était dingue ! ». Derrière une façade sans fard, on retrouve un lieu cosy composé de chambres avec poupée à disposition. 89 € la séance seul – il est possible, moyennant une petite rallonge, d’y venir accompagné –, tel est le prix à payer pour partir à la découverte d’une aventure singulière.

Des poupées calibrées

D’une taille de 1,45 m à 1,68 m pour un poids moyen de 30 kg, les poupées arborent d’exubérantes poitrines que peinent à contenir leurs minces atours. On peut jeter son dévolu – parmi quatre poupées – sur Candice, l’Européenne, ou Sarah, l’Orientale. Ces fantoches présentent la disponibilité la plus totale : « Prête à réaliser tous tes désirs » ou « Prête à réaliser tous vos souhaits », annoncent-elles de la bouche de leur créateur. Ces poupées, chauffantes au demeurant, sont bien sûr nettoyées « genre au Kärcher » après chaque client, hygiène oblige. Joaquim de préciser : « La poupée, tu peux manger dessus ». À destination des consommateurs réguliers, Xdolls met également en vente ses poupées, avec une multitude de combinaisons à en perdre la tête : de l’ordre de 2 000 € sans option, la facture peut très vite grimper – à titre d’exemple, l’option « chauffage et son » s’élève à 420 €. Comme dans le jeu vidéo Les Sims™, tout est modifiable : la couleur des yeux, la coiffure, le style des ongles, la présence de tatouages, le type des poils pubiens, et même la couleur la vulve – présentée sous l’appellation vagin – : simple coquille ou lacunes patentes sur l’appareil génital féminin ? Parmi la kyrielle de combinaisons possible, on sera surpris de ne trouver que des poitrines généreuses – la taille et même la couleur des tétons sont pourtant modifiables…

Illustration de Victor Viard-Gaschat pour Cité unie

D’inévitables levées de bouclier

Comme toujours lorsqu’il est question de sexe, les polémiques vont bon train. La crainte d’avilissement des mentalités est soutenue par ses détracteurs, comme l’ont subi en leur temps la pornographie et les jeux vidéos. Les conservateurs déplorent l’aspect juvénile que les dimensions susnommées ne feront pas mentir. Le faible poids est-il un simple aspect pratique ou un parti pris esthétique des concepteurs ? Toujours est-il que l’analogue masculin manque à l’appel chez Xdolls. Les plus concerné·e·s par la cause féministe seront heureux d’apprendre que des modèles hommes de ces poupées existent également, reflétant les stéréotypes de genre que dans l’univers du jouet. Dans Libération, Quentin Girard vient même couper l’herbe sous le pied aux protecteurs de la gent féminine : « Si le but est vraiment de défendre les femmes, c’est leur faire bien peu d’honneur d’imaginer qu’on puisse les confondre avec des robots sexuels ». Et pour cause, en parcourant le catalogue, pas une once d’humanité dans ces visages vides. Objectivées et stéréotypées au possible, ces poupées sont réduites à leur simple condition : un squelette articulé en métal renforcé d’élastomères thermoplastiques en surface. En somme, ce ne sont rien de plus que des jouets pour les grands enfants.

Un objet sexuel pas comme les autres – de l’humain au robot

Ce lien fantasque qui se tisse entre l’homme et la machine se matérialise dans Her, film où Theodore Twombly va s’éprendre d’Amanda – une intelligence artificielle sans artifice –, tellement humaine ? Libre à chacun d’en juger. Un mois plus tard de la même année, le collectif Les Parasites s’en est probablement inspiré lors de l’écriture de son court‑métrage en 48 heures Amour artificiel. Y est peint avec une grande justesse les tourmentes de l’acoquinement entre un homme et un robot qu’il pense humain ; ce dernier apprenant la réelle condition de sa belle à ses dépens. Dans la même veine, dans la série Westworld, les visiteurs du parc peuvent se rendre dans une maison close tenue par des robots (appelés « hôtes ») plus vrais que nature – tant et si bien que la réelle nature d’un de ces robots se brouille au fil de l’intrigue.

Un avenir foisonnant

L’ubiquitaire et lucrative intelligence artificielle (IA) a pénétré jusque sur ce juteux marché. L’une des premières entreprises à avoir fait son apparition sur ce créneau True Companion. Elle propose dès 2010 un robot sexuel interactif « Roxxxy » aux cinq personnalités évocatrices – e.g. « mature Martha » ou « frigid Farrah ». Les avancées technologiques sont souvent appliquées rapidement au sexe. Que de chemin parcouru depuis la simple utilisation de l’électricité à des fins d’électrostimulation – ou « E-stim » – érotique. Dans l’Angleterre victorienne du film Oh my God!, un médecin soigne miraculeusement ses patientes prétendument hystériques dont la seule souffrance est en fait l’incompétence érotique de leur maris… Non content d’avoir pu accrocher votre oeil vagabond grâce à vos libidineuses inclinations, je vous laisse vous adonner à de luxurieuses pérégrinations sur les vertigineuses possibilités d’aujourd’hui avec cette citation de Björk. À défaut de trancher sur la question morale, celle-ci mettra tout le monde d’accord :

« Le sexe est le plus illogique des besoins » .
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