Repenser les relations post-coloniales : débattre et restituer ?

Le débat sur la restitution d’objets d’art africain a longtemps été ignoré et cantonné aux relations diplomatiques entre les États. Depuis quelques années, de nouveaux acteurs s’emparent de ces problématiques, notamment en raison d’un rapport renouvelé au passé colonial. Pour éclairer cette question du retour d’une partie du patrimoine africain, les chercheurs ont aujourd’hui la tâche importante de faire parler les objets afin d’en comprendre leur origine et leur parcours.

Certains musées européens, notamment le musée du Quai Branly à Paris, regorgent d’objets d’art qualifiés « d’extra-européens ». Parmi ces objets, ceux provenant du continent africain sont pour la plupart arrivés en Europe au cours de trois périodes : à partir de la fin du XIXe siècle, avec le début de la colonisation ; au milieu du XXe siècle, temps des grandes expéditions ethnographiques, et au lendemain des indépendances dans les années 1960.

Le mode d’acquisition d’un grand nombre de ces objets, principalement pendant la colonisation, est problématique. Ils sont parfois le fruit de butins de guerre, de pillages, de vols ou d’achats à vil prix. Or si la légalité de leur acquisition est contestable aujourd’hui, ces artefacts font partie du domaine public français et sont en conséquence considérés comme inaliénables.

Cet obstacle juridique à la restitution semble toutefois surmontable puisqu’une loi a été adoptée par l’Assemblée nationale le 17 décembre 2020. Il est intéressant de noter qu’il ne s’agit toutefois pas d’une loi pouvant créer un cadre juridique pour de futures restitutions puisqu’elle ne s’applique qu’à vingt-sept objets. Celle-ci prévoit, entre autres, le retour de trois statues anthropomorphes représentant les rois du royaume d’Abomey (sud-ouest de l’actuel Bénin), exposées jusqu’à maintenant au musée du Quai Branly (voir illustration ci-dessous). Ces oeuvres avaient été prises au sein du palais royal lors d’une expédition menée par le général Dodds en 1892 et envoyées au musée du Trocadéro en tant que butin de guerre en 1893.

Ces trois grandes statues royales (royaume du Dahomey), actuellement exposées au musée du Quai Branly, vont être transférées à la République du Bénin dans le courant de l’année 2021. Autrefois chargées de substances magiques, le rôle de ces statues était de protéger les soldats. Ces personnages hybrides, mi-homme, mi-animal, reprennent les emblèmes des rois : l’oiseau cardinal au plumage rouge feu pour le roi Ghézo, le lion pour Glèlè, et le requin pour Béhanzin. Avant de partir au combat, les soldats leur promettent la victoire et des trophées dans la case du Courage. Ces grandes statues, qui subliment le caractère surhumain des monarques, précédaient parfois les armées en campagne et participaient au défilé annuel des richesses du royaume.

La question de la restitution du patrimoine africain suscite un réel débat dans la société française. Celui-ci s’est cristallisé à la fin de l’année 2017 à la suite du discours du président français Emmanuel Macron à l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou au Burkina Faso. La formule du chef d’État – annonçant vouloir que « d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique » – a marqué les esprits. Cette prise de parole a initié une nouvelle phase de réflexion sur le patrimoine africain dont s’est emparée la société civile en Afrique ainsi qu’en Europe. Nous vivons donc une période propice au retour du débat, un temps de télescopage des intérêts et des réflexions.

La question n’est pourtant pas nouvelle. Les années 1960 ont marqué l’indépendance des États africains et le début de la question des restitutions. Le Congo, le Nigéria ou encore l’Algérie ont demandé et obtenu le retour de certaines collections. Ces retours ponctuels se sont faits parallèlement à la construction des nouveaux États. Plus tard, de nombreux chercheurs, intellectuels et artistes africains ont appelé au retour des objets africains. L’École du Patrimoine Africain créée en 1998 est un autre acteur de ce mouvement. Présente dans 26 pays africains, un de ses objectifs est la réappropriation du patrimoine culturel par les publics africains et elle forme de nombreux conservateurs de musée.

Pendant longtemps, la scène internationale a été le principal lieu de dialogue autour de la question. Les conventions de la Haye de 1954, de l’Unesco de 1970, ainsi que la résolution de 1974 de la même institution mentionnant « la perte de biens culturels due à la colonisation et à l’occupation étrangère » sont autant de manifestations d’une réelle préoccupation. De plus, l’appel d’Amadou-Mahtar M’Bow, alors directeur de l’UNESCO, le 7 juin 1978, invitait déjà les médias ainsi que l’opinion public à « susciter dans le monde un vaste et fervent mouvement d’opinion pour que le respect des oeuvres se traduise […] par le retour de ces oeuvres à leur terre natale ». Ces occurrences multiples démontrent l’existence d’une volonté profonde d’engager un débat autour de la restitution du patrimoine, en particulier en Afrique.

Ces appels sont pendant longtemps restés lettre morte, les États et musées européens faisant la sourde oreille. Dans les années 1990, la France a répondu ponctuellement à certaines demandes. Jacques Chirac a restitué des manuscrits coréens et Nicolas Sarkozy des sculptures Nok au Nigéria. Cependant, ces gestes s’apparentaient davantage à des cadeaux offerts au gré de la bonne volonté du gouvernement en place. Il existait parallèlement une forte réticence européenne tant de la part du corps politique que du monde muséal. En 2002, dix-neuf musées d’Europe et d’Amérique du Nord ont signé une déclaration « sur l’importance et la valeur des musées universels ». Celle-ci a pour but de placer ces institutions occidentales en réceptacles et garantes du patrimoine de l’humanité, ce faisant elles excluent les musées africains et évacuent la question des restitutions.

Illustration par Gabrielle Mechain

Les musées français ont longtemps refusé d’évoquer ces dernières. Mais depuis quelques années, un réel débat est en train de se construire et les positions évoluent. Le retour de la question coloniale ainsi que l’interrogation sur la représentation de l’altérité dans la société sont deux facteurs qui témoignent d’une mutation du débat et du dépassement des acteurs étatiques. La refonte de certains musées « ethnographiques », comme en témoigne l’ouverture du Quai Branly en 2006, a modifié le regard porté sur les collections africaines. Ce mouvement est encore incomplet, le public est aujourd’hui en quête d’informations face à des objets lointains historiquement et spatialement, informations qui restent encore évasives ou fragmentaires. Les artistes contemporains africains sont aussi des acteurs de cette question et participent activement à la discussion qui entoure les restitutions. Les élites économiques se saisissent également du sujet, l’investissement de quinze millions d’euros par le milliardaire George Soros dans des associations chargées d’encourager les restitutions démontre l’importance de la question.

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