Panama Papers : un an et demi après, quelles sont les conséquences de cette fuite historique ?

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Le 15 avril 2016, la plus importante fuite de données de l’histoire de la presse fut révélée : les « Panama Papers » . L’enquête a ainsi analysé des millions de fichiers du cabinet d’avocats Mossack Fonseca, dénonçant au passage les recours aux montages offshores de certaines personnalités et particuliers pour cacher leurs actifs. Ces révélations ont profité d’un retentissement énorme au niveau mondial. Cependant, où en est la situation un an et demi plus tard ? Quelles en ont été les conséquences sur l’évasion fiscale ? Par Eponine Le Galliot

Onze millions et demi de fichiers fournis à 370 journalistes d’investigations de 109 rédactions, à travers pas moins de 76 pays : les chiffres ont de quoi donner le tournis. Menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), l’enquête des Panama Papers a permis d’identifier de nombreuses personnalités et pas moins de 128 politiques et hauts fonctionnaires, dont six chefs d’État en activité, ayant eu recours à des sociétés offshores domiciliées par le cabinet panaméen Mossack Fonseca. De très grande ampleur à sa sortie, les conséquences de cette fuite se ressentent encore aujourd’hui, et cela continuera pendant plusieurs années. Petit aperçu des changements établis à la suite de ces révélations.

 

Des conséquences durables et multiples

        Au Panama, le siège de Mossack Fonseca a été perquisitionné quelques jours avant les révélations. Les autorités de la plupart des pays concernés ont ensuite réagi, entraînant d’autres enquêtes, des arrestations, descentes de police, de grandes réformes législatives et les démissions de certains hommes politiques. Le Premier ministre islandais Sigmundur Davíð Gunnlaugsson notamment, très en difficulté après la découverte de sa détention d’une société extra-territoriale, a dû faire face à la colère du peuple descendant dans les rues de Reykjavik ; le poussant finalement à la démission en moins de deux jours.

        Depuis un an et demi maintenant, les réactions se sont multipliées de toutes parts, dans un souci de plus grande transparence. Environ 150 contrôles et enquêtes ont été menés dans 79 pays. Certaines assemblées législatives, comme celles de l’Irlande ou du Panama ont fait voter des lois dans le but d’éradiquer les failles que l’ICIJ a mis en lumière. À l’autre bout du monde, en Mongolie, le Parlement a lancé un projet de loi dans le but d’engendrer des poursuites contre les responsables politiques qui ne déclareraient pas leurs intérêts financiers hors du pays.

            La Nouvelle-Zélande, quant à elle, s’est découverte un statut de paradis fiscal dont elle ne soupçonnait pas l’existence : sa réputation de pays irréprochable, idéal donc comme couverture pour vendre des instruments d’évasion fiscale,  a finit par se retourner contre ce dernier. Dans les mois qui suivirent, des dizaines de millions de dollars d’impôts impayés ont été recouvrés : pas moins de 80 millions de dollars en Colombie par exemple, 20 millions au Mexique, et même 170 kilogrammes de lingots d’argent en Australie.

 

Le Panama, en constante situation délicate

        La France, qui avait retiré le Panama de sa liste noire des paradis fiscaux sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy, a été la seule grande puissance à le faire figurer à nouveau sur la liste après les révélations. Le pays d’Amérique centrale s’est donc efforcé de négocier avec le gouvernement français pour sa sortie de la liste, pour éviter les sanctions économiques : il a notamment signé la convention contre la fraude fiscale de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) en octobre 2016 qui lui impose de transmettre les informations fiscales aux 104 pays signataires.

        En tout, une dizaine de bureaux de Mossack Fonseca ont fermé leurs portes à travers le monde, licenciant au passage quelques 250 salariés. Les Îles Vierges britanniques ont quant à elles condamné le cabinet à deux amendes salées, donc une de 440 000 dollars, la plus importante imposée dans le pays à un cabinet d’avocats. Le Parlement européen, quant à lui, a mis en place une commission chargée d’enquêter sur l’évasion et la fraude fiscale.

        Les Panama Papers ont donc largement contribué à un désir de plus de transparence. L’indignation que cette affaire a suscité a en effet réveillé le besoin de réviser un système financier qui, jusque là, avait relativement résisté aux réformes. Comme l’indique Porter McConnel, le directeur de la Financial Transparency Coalition, « Aucun État ne veut être le prochain Panama. » Tous s’efforcent donc de réformer leur système afin de ne pas se laisser prendre au piège.

 

Des actions parfois encore en dents de scie

        De nombreux efforts restent cependant à fournir. La gouvernance Trump ainsi que le cas du Brexit au Royaume-Uni risquent encore de compliquer la situation, avec l’examen de mesures fiscales risquant de renforcer les pratiques de leurs territoires — Îles Vierges des États-Unis et Îles Vierges britanniques principalement, ainsi que les Îles Cayman. En Islande, la démission du Premier ministre n’a été que symbolique : ce dernier a en effet pu redevenir député. C’est l’ancien ministre des finances, pourtant lui aussi visé par les Panama Papers, qui a été élu à la tête du pays au mois de janvier, après qu’il a réussi à repousser la publication d’un rapport sur l’évasion fiscale à la période post-élection.

        Il est à noter, toutefois, que l’OCDE au G20 de Hambourg en juillet 2017 n’a finalement pas présenté de liste noire commune des paradis fiscaux — et ce, simplement parce qu’un seul nom y aurait figuré. En effet, tous les pays visés par cette initiative se sont finalement engagés à faire des efforts de transparence en acceptant entre autre l’échange automatique d’informations fiscales, et en signant la convention multilatérale contre l’évasion fiscale, signée en juin 2017 à Paris. Tous, donc, à l’exception de Trinité-et-Tobago, n’ayant pas encore modifié sa législation du fait de l’instabilité sociale et politique dans laquelle se trouve le pays.

        L’entrée en vigueur de l’échange automatique d’informations pour tous les pays signataires se fait progressivement : 50 pays au mois de septembre 2017, et 50 autres exactement un an plus tard. Cependant, le travail est loin d’être terminé : il faudra ensuite s’assurer que les pays ayant pris des engagements installent des législations pour les respecter, et il s’agira enfin de vérifier que ces dernières sont correctement mises en œuvre.

        L’enquête historique des Panama Papers a été récompensée par le prix Pulitzer un an après les faits, le 10 avril 2017. Dans l’ensemble, les répercussions continuent de se faire sentir aujourd’hui, mais il est certain que des changements profonds et durables ne seront possible qu’avec plus de temps et la coopération de toujours plus de pays et gouvernements. La transparence financière doit devenir la norme au niveau mondial, et la nouvelle responsabilité des gouvernements est de ne plus tolérer l’évasion fiscale tout en étant au courant de son existence, mais bien de la prendre au sérieux et de mettre en place des moyens concrets pour la combattre. Reste maintenant à savoir, dans le cas des pays qui rechignent toujours à prendre des mesures efficaces contre l’évasion fiscale, s’ils finiront par se joindre à la lutte commune qui s’est mise en place depuis ces révélations historiques.

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