Alors que le nombre de féminicides ne décroît pas, notre rédactrice Amanda Mayo Pérez revient en cette journée internationale des droits des femmes sur la culture sexiste dans le cinéma romantique. Une approche critique du monde cinématographique qui met en lumière les influences misogynes qu’il produit de manière insidieuse.
Pour la journée internationale des droits de la femme, il est nécessaire de protester contre les plus de 110 féminicides qui ont eu lieu en 2021 et les 22 féminicides qui ont déja eu lieu ces très premiers mois de l’année. Il est nécessaire de dénoncer les injustices que les femmes subissent lorsqu’elles veulent dénoncer une agression sexuelle ou un viol.
Mais il est aussi important de regarder vers et critiquer les moyens plus subtils à travers lesquels le sexisme et la misogynie se transmettent. On a tous grandi avec des films classiques où des femmes étaient le personnage principal. Hélas, le fait que les femmes soient au premier plan ne fait pas de ces films des œuvres féministes.
Avec cette critique féministe, je souhaite mettre en lumière des clichés sexistes de ces films et les dangers de romantiser certains comportements. Bien que ces films soient adorés et iconiques (ils sont tous dans la liste de mes films préférés) il est toujours nécessaire de les analyser avec un regard critique (attention, les critiques contiennent des spoilers).
Dix bonnes raisons de te larguer (1999)
Dans cette adaptation moderne de La Mégère apprivoisée de Shakespeare, le lycéen Cameron James (Joseph Gordon-Levitt) tombe amoureux de Bianca Stratford (Larisa Oleynik). Mais Bianca à un père très stricte qui ne lui permet de sortir avec des garçons que si sa sœur Katarina (Julia Stiles) sort aussi. Chose pas très probable car Kat est une jeune femme rebelle, belligérante et intimidante.
Pour réussir à sortir avec Bianca, Cameron imagine un plan : convaincre Joey Donner (Andrew Keegan) qui est aussi intéressé par Bianca, de payer Patrick Verona (Heath Led) pour séduire Kat, et ainsi assurer que leur père leur permette de sortir. Mais au fur et à mesure, Patrick et Kat tombent amoureux, et les deux sœurs se rapprochent l’une de l’autre en dévoilant leurs secrets.
Pour commencer, je n’ai jamais su si j’aimais ou détestais le personnage de Kat. Katarina est une jeune fille forte, indépendante et féministe, ce qui est digne d’admiration, surtout vu qu’elle persévère malgré le refus de ces camarades. Cependant, je trouve que son personnage représente vraiment le cliché de la femme féministe qui déteste les hommes, et, au fur et à mesure qu’elle tombe amoureuse avec Patrick, elle change pour devenir plus douce et moins belligérante. Comme si les relations amoureuses et le féminisme ne n’allaient pas ensemble.
Tout au long du film, les personnages principaux masculins voient les femmes comme des objets: Patrick accepte de séduire Kat pour de l’argent, alors que parallèlement Joey veut sortir avec Bianca pour remporter un pari. Même Cameron, montré comme un des héros romantiques du film, n’a aucun problème à utiliser Kat pour atteindre Bianca. Et, ce qui est encore plus problématique, Kat et Bianca ignorent ces manipulations à la fin, car leur amour pour Patrick et Cameron est plus fort que le mal qu’ils ont provoqué. C’est une idée très toxique, car elle fait allusion à cette idée de “l’amour inconditionnel” qui peut tout pardonner. Cette attitude est une des celles qui alimentent les relations toxiques et abusives.
Finalement, la règle du père reflète cette tendance à montrer aux femmes comment se protéger au lieu de dire aux hommes de ne pas agresser des femmes. De plus, cette règle particulière illustre aussi un manque d’éducation sexuelle qui peut se voir encore aujourd’hui en France. Le père est un médecin obstétricien qui a traité des jeunes enceintes, et donc veut éviter que ses filles subissent le même sort en les interdisant de sortir seules avec un homme. Mais il ne leur explique pas ce qu’est la contraception, par exemple. Aujourd’hui en France il y a un besoin pressant d’éduquer au consentement et au plaisir féminin.
La revanche d’une blonde (2001)
La revanche d’une blonde est un film de culte, et c’est une de mes comédies romantiques préférées. Il y a plein d’humour et de moments dramatiques, mais j’ai toujours aimé le personnage d’Elle Woods (Reese Witherspoon), qui essayait de lutter contre ce cliché comme quoi les blondes seraient stupides. Cependant, c’est un film qu’il faut regarder avec de la distance car il est quand même truffé de stéréotypes sexistes, certains plus subtils que d’autres…
Elle Woods est une jeune fille californienne spécialisée dans la mode. Invitée au restaurant par son petit-ami Warner Huntington III, elle s’y attend à une proposition de mariage, qui est, en réalité, une rupture. Warner ne la considère pas comme assez intelligente et elle décide de lui prouver qu’il a tort en passant l’examen d’admission à l’école de droit de Harvard Law, où Warner va étudier aussi. Elle rencontre alors la nouvelle fiancée de Warner, Vivian, et est inclue dans le groupe de travail légal du professeur Callahan, pour défendre dans le tribunal une femme accusée d’avoir tué son mari.
La motivation d’Elle pour entrer à Harvard est, pendant près de 80% du film, de convaincre Warner de rompre avec Vivian, de se remettre ensemble avec Elle et de la marier. On voit donc une femme dont l’objectif principal tourne autour de l’acceptation masculine ; Ce n’est qu’après d’avoir été humiliée par Vivian qu’Elle décide de se prendre en main et de faire des efforts dans ces cours pour démontrer qu’elle est bien mieux que Vivian.
C’est aussi cette rivalité entre les deux filles – à cause de Warner – qui est problématique. Celle-ci est totalement dépendante des hommes que les deux jeunes femmes ont aux alentours. En effet, Elle et Vivian deviennent amies lorsqu’elles réalisent que le professeur Callahan ne les traite pas de la même façon que les hommes dans leur groupe de travail. Plus tard, lorsqu’ Elle est harcelée sexuellement par Callahan, la réaction de Vivian est de la culpabiliser. Vivian fait preuve de “slutshamming” envers Elle, et rompt cette sororité qu’il y avait entre les deux et ne pense en aucun moment à la soutenir après ce qu’elle a subi. Ce harcèlement, d’ailleurs, ne sera puni dans le film que par l’humiliation de Callahan dans les tribunaux ; Callahan n’est pas sanctionné légalement ou au niveau universitaire.
Finalement, le moment triomphal d’Elle dans le tribunal n’a pas lieu grâce à son intelligence ou ses connaissances sur la loi, mais à ses connaissances sur les soins de cheveux, une image qui la renvoie encore à cette idée qu’elle est une femme blonde et obsédée avec la mode et la beauté. Et même si Elle a un moment d’émancipation quand elle rejette Warner après sa victoire (Girl boss moment !!) son personnage tourne encore autour d’un homme et du mariage, car elle va commencer une liaison romantique avec l’assistant du professeur Callahan. Il n’y a rien de mal au fait qu’elle veuille se marier mais il y aurait été très émancipateur de voire juste la femme célébrer sa victoire et de se centrer sur elle-même après sa rupture, au lieu de commencer directement une nouvelle relation.
N’oublie Jamais (2004)
Un des films d’amour les plus célèbres, cette comédie romantique réalisée par Nick Cassavetes met en scène l’histoire d’amour entre Noah Calhoun (Ryan Gosling) Allie Hamilton (Rachel McAdams). Un Noah âgé lié à une Allie atteint d’Alzheimer. Son propre journal raconte comment les deux, plus jeunes ont commencé à sortir ensemble, et comment ils ont surmonté de nombreux obstacles qui les séparaient. Bien qu’une histoire adorable et passionnante, leur liaison à des caractéristiques très toxiques.
La seule raison pour laquelle Allie accepte de sortir avec Noah, c’est parce que celui-ci menace de se suicider le cas échéant. Noah interrompt le rendez-vous d’Allie avec un autre homme dans une fête foraine et décide de sauter sur la grande roue. Pendant qu’il s’accroche à la roue, suspendu devant Allie, il lui donne un ultimatum : soit elle sort avec lui, soit il se laisse tomber. C’est une manipulation flagrante déguisé en geste passionné et romantique.
Plus tard dans le film, le spectateur découvre, tout comme Allie, que Noah a passé les dernières années après leur séparation complètement obsédé avec elle, même si Allie à refait sa vie et a un nouveau fiancé. Noah construit avec ses propres mains la maison que les deux, plus jeunes, rêvaient d’avoir ensemble. En plus, Noah écrit 365 lettres à Allie, une chaque jour pendant une année entière, même si celle-ci ne répond pas. C’est grâce à l’aveu de la mère d’Allie – qui reconnaît avoir caché ses lettres -que le personnage de Ryan Gosling est sauvé d’être considéré un harceleur obsédé. Ses actions sont encore une fois montrées comme le grand geste romantique par excellence.
Mais, ce qui est problématique, et le fait que Noah ne savait pas qu’Allie n’avait jamais reçu ses lettres. Il était convaincu qu’elle ne répondait pas car elle ne voulait plus de lui. Et il a continué à insister quand même. Si on transforme ces lettres en textos, cela devient une réalité que de nombreuses filles et femmes subissent quotidiennement : le harcèlement constant des hommes qui ne veulent pas comprendre que ‘non’ c’est non, ce n’est pas ‘insiste un peu plus’.
Critique féministe des comédies romantiques
Ces trois films ont été réalisés dans les années 90s et 2000, et on pourrait dire qu’ils reflètent les mentalités des temps dans lesquelles ils ont été créés. Mais ces films sont considérés comme des classiques iconiques et de culte, ils sont admirés et recommandés encore. Ils doivent être analysés et critiqués pour que les futures générations qui grandissent avec eux puissent comprendre que les conceptions de l’amour dans ces films ne sont pas des exemples fiables à imiter mais des modèles de toxicité à éviter.
Si vous cherchez des films avec un caractère plus féministe, je recommande trois films que j’adore aussi :
Les Suffragettes (2015) : Réalisée par Sarah Gavron, cette œuvre historique et centrée autour du mouvement des suffragettes, les femmes qui exigent le droit du vote, au Royaume-Uni. Voici la bande annonce.
Mustang (2015) : Le premier long-métrage de la réalisatrice Turque Deniz Gamze Ergüven met en scène l’histoire de cinq sœurs qui luttent pour défendre leur liberté contre le patriarcat étouffant dans la Turquie rurale. Voici la bande annonce.
Scandale (2019) : Ce film dramatique Américain raconte d’une manière un peu simplifiée les allégations d’agression sexuelles contre le PDG de Fox News Roger Ailes. Les personnages sont inspirés par les femmes qui ont dénoncé Ailes. Voici la bande annonce.
La rédaction n’est as responsable des contenus sur les sites web auxquelles les liens référent.