La prise en charge de la santé publique est une obligation des gouvernements et vise à la protection des droits fondamentaux. Face à la crise sanitaire actuelle, les technologies numériques présentent de nouveaux moyens de contrôler la propagation du virus. Comme les États s’en servent, cela questionne la manière avec laquelle les gouvernements limitent les libertés individuelles.
La pandémie du Coronavirus a mis en évidence des situations délicates concernant la limitation des libertés individuelles. Les stratégies de traçage adoptées par les États sont diverses et le degré de surveillance varie. Le suivi peut se faire par GPS, Bluetooth ou même par reconnaissance faciale. La localisation géographique – le moyen de surveillance le plus fréquent – permet de suivre le mouvement des personnes, d’identifier les zones de forte densité et à risque, voire d’établir des mesures de confinement globales ou individuelles.
La Chine, première nation à pâtir du Coronavirus, disposait déjà avant la pandémie d’un logiciel technologique développé par le gouvernement à partir d’un système de classement de ses citoyens, appelé Sésame Crédit. Pendant la pandémie, Alipay, une filiale du géant numérique Alibaba, a développé sa propre application en coopération avec plusieurs provinces et la police. Se basant sur le système Sésame Crédit, l’application affiche un QR-code coloré qui indique le risque de contamination et qui détermine ainsi le niveau de liberté des citoyens chinois (du vert au rouge). Dans de nombreuses villes, la présentation de ce code est obligatoire. C’est avec ce code que les citoyens peuvent quitter leur domicile, utiliser les transports publics, ou encore entrer dans des restaurants ou des marchés. Le système Alipay ne calcule pas seulement le risque de contamination, mais les données sauvegardées par l’application sont également partagées avec la police. À Hong Kong, un capteur est placé sur le pouls des personnes en quarantaine : StayHomeSafe est l’application qui surveille la localisation des citoyens. Si une personne dépasse les limites autorisées, une alerte est déclenchée.
En Europe, la plupart des pays ont également testé des mécanismes de suivi : en Pologne, le gouvernement demande l’envoi de selfies pour la surveillance ; en République tchèque, l’application de suivi des contacts eRouska accède via Bluetooth à la géolocalisation, au service de cartographie locale ainsi qu’aux relevés bancaires et téléphoniques.
En Autriche, l’application StoppCorona-App a été développée par la Croix-Rouge locale et permet, via le Bluetooth, l’enregistrement des contacts sociaux et alerte les utilisateurs en cas de dépistage positif. En Allemagne, l’application Corona-Datenspende fonctionne au moyen d’un bracelet qui enregistre les signes vitaux de la personne (rythme cardiaque, comportement pendant le sommeil, activité, température corporelle, etc.). Encore plus utilisée, l’application Corona-Warn-App est un projet open source qui permet, à l’aide d’un Exposure Notification System et de Bluetooth, de détecter des contacts sociaux afin d’alerter les cas contact de personnes « positives ».
En France, la première application française contre la propagation du virus a été nommée ironiquement StopCovid Analytica par un collectif d’experts du numérique, en analogie avec le scandale de Cambridge Analytica pendant les élections présidentielles aux États-Unis en 2016. Cette entreprise, par le biais d’une application présentée sous la forme d’un questionnaire psychologique, traçait des données non autorisées pour identifier les comportements des gens et pour influencer leurs décisions politiques. Dans une tribune dans Le Monde du 25 avril 2020, trois auteurs de ce collectif constatent que l’application française présente de nombreuses similitudes avec Cambridge Analytica.
Afin de jeter les bases pour de bonnes pratiques quant à l’utilisation de ces applications technologiques, David Lyon, directeur du Centre d’études de surveillance au Canada, souligne que la notion de liberté civile nécessite des garanties claires et des limites convenues.
Sans doute, l’utilisation généralisée des données à des fins de contrôle sanitaire met en danger les institutions démocratiques et les garanties individuelles acquises par l’État de droit. Tout d’abord, il n’y a aucune garantie que les données utilisées aujourd’hui à des fins de sécurité ne seront pas utilisées plus tard à d’autres fins. De plus et déjà aujourd’hui, la surveillance commence à modifier les comportements des gens en ce qu’elle établit des formes de contrôle qui incitent les gens justement à adopter des comportements qui restreignent leur liberté. De ce fait, il est bon de se rappeler la citation de Benjamin Franklin : « Toute société qui renonce à un peu de sa liberté pour avoir un peu plus de sécurité ne mérite ni l’un ni l’autre, et finira par perdre les deux ».
La multitude d’applications de suivi des personnes utilisées dans plusieurs pays montre que la limite de l’action étatique sur les libertés des personnes reste sensible. L’exemple le plus draconien est celui de la Chine, où le droit des citoyens à se déplacer est soumis à la présentation de QR-Code. En revanche, le partage de ces données avec la police révèle que le contrôle peut persister même après l’épidémie, et être utilisé à des fins au-delà de la lutte contre le virus.