« Dire recherche, c’est dire précarité »

Illustration : Melisa Benakay

« Dire recherche, c’est dire précarité » déclare Francesco, un doctorant italien en physique à Paris – un ressenti qui domine la pensée de beaucoup de chercheurs. Mais en quoi consiste exactement cette précarité ? On a demandé à des chercheurs et chercheuses italien.n.es, resté.e.s en Italie ou venu.e.s en France, de parler de leurs difficultés.

« Il y a deux options si on veut poursuivre une carrière académique : rester en Italie ou réaliser un parcours international. Moi, j’ai choisi la première voie et cela implique de rester dans sa propre université et attendre que l’université lance un appel à candidature pour le poste de maître de conférence. Mais le dernier poste à pourvoir remonte à une décennie en arrière et les financements pour les Lettres sont toujours moins élevés, il faut donc attendre la retraite d’un professeur », me raconte Alessio, 30 ans, doctorant en littérature française à l’Université de Rome Tor Vergata.

En Italie, chaque université offre des places limitées de doctorat, dont quelques-unes avec une rétribution d’environ 1000 euros par mois et d’autres non payées. Sur six places disponibles, Alessio a réussi à obtenir un contrat doctoral mais sans rémunération. « L’examen écrit du concours est le même pour les langues, l’art et la littérature, et la répartition des places est rarement respectée. En plus, on se trouve en concurrence avec des candidats beaucoup plus âgés qui ont déjà publié des articles, ce qui augmente leur score pour le concours. J’ai pu accepter la bourse sans contrat parce que je suis chanceux : j’ai une famille qui peut me soutenir et je n’ai pas de loyer à payer ». Lorsque je lui demande s’il a la possibilité de donner un cours dans l’université pour gagner de l’argent, il se met à rigoler : « Je remplace le professeur s’il l’exige, j’interroge les étudiants aux examens, et quelquefois les professeurs me demandent de faire une leçon sur un auteur sur lequel je suis spécialisé. Mais je ne gagne pas d’argent ».

Avec ce type de doctorat non rémunéré, les chercheurs n’ont pas un statut juridique de travailleur. Sans couverture sociale, ils n’ont pas le droit à l’allocation chômage et ne versent pas de cotisations de retraite. Concernant ses projets futurs, Alessio me répond : « J’attends que l’université lance un appel pour une place à durée indéterminée, probablement je ferai des remplacements au lycée comme le font la majorité des chercheurs en attente, mais bien sûr cela est très précaire parce qu’on ne sait jamais quand une école appellera et pour combien du temps. Il faut beaucoup de chance ».

© Barbousa

La solution est-elle à l’étranger ?

Je rencontre Maria, 30 ans, doctorante en linguistique au CNRS, qui habite à la Cité U. « Après avoir terminé mon master en philologie classique en Italie, je voulais faire un doctorat et j’ai choisi de le faire à l’étranger parce que ma directrice de thèse m’avait conseillé d’attendre un an

avant d’essayer le concours de doctorat, en m’indiquant subtilement, chose qui m’a troublé, que pour subvenir à mes besoins, j’aurais eu besoin du soutien financier de ma famille. En plus, les quatre places disponibles étaient pratiquement pré-assignées aux étudiants d’autres cursus car il y a une tendance à alterner les années et ce n’était pas l’année des linguistes. Pour moi, ce n’était pas une option de gagner une bourse sans rétribution ni d’attendre tout ce temps ». Après avoir envoyé sans succès cinq candidatures entre l’Europe et l’Amérique, elle s’inscrit à un Master en linguistique en France, où l’université est moins chère par rapport à l’Italie, afin de faciliter l’obtention d’un doctorat. Finalement, elle a réussi à obtenir un contrat à projet de trois ans.

En Italie ou à l’étranger, les problèmes financiers sont les mêmes « Ma rétribution prévoit 1400 euros nets, auxquels on doit déduire les impôts. Pour habiter à Paris, ce n’est pas une grosse somme, s’il y a une urgence, je dois demander de l’aide à ma famille. J’ai essayé de travailler comme baby-sitter, mais c’est trop dur de concilier ce travail avec la recherche ». Toutefois, en France il y a la possibilité de donner des cours même si le contrat ne le prévoit pas : « J’ai donné deux cours mais le problème est que le temps moyen de rétribution est de huit mois. De plus, il faut beaucoup de temps pour préparer les cours, deux ou trois jours par semaine, un temps qui n’est pas consacré à la recherche ».

Pour l’avenir, « la meilleure position est celle de maître de conférence, le seul contrat à durée indéterminée pour la recherche en Europe. Si je ne parviens pas à décrocher ce type de poste, j’opterai pour un contrat post-doctoral, bien que la durée des contrats soit inhumain. Mais en Europe c’est désormais partout comme cela, il y a cette idée de fond que des contrats courts et la peur de perdre sa place stimulent les chercheurs ».

Andrea, 29 ans, est en première année de son deuxième post-doc en mathématique. Il me raconte les moments les plus critiques de la carrière d’un chercheur et les problématiques inhérentes au contrat post-doc : « Après mon doctorat en Italie, j’ai envoyé quinze candidatures en cherchant une place de post-doc. Une seule candidature s’est concrétisée, en Israël, pour une durée d’un an. Là-bas j’avais un statut d’étudiant et une bourse d’étude, donc je n’étais pas considéré comme une travailleur. Après, j’ai réussi à obtenir la bourse Marie Curie pour un contrat post-doc de deux ans à Paris, mais mon cas est plutôt une exception que la règle ».

Andrea me conte les passages les plus difficiles dans le parcours de la recherche : « Les pires moments de ma carrière ont été la recherche d’un doctorat et du premier post-doc, moment où nombre de personnes abandonnent le parcours académique. En effet, la quête du post-doc est l’activité la plus épuisante, c’est le moment où l’on regrette de faire ce travail. Il faut écrire des projets, envoyer des candidatures, faire des interviews et cela réduit de 20% le temps dont nous disposons pour notre travail de recherche et souvent cela n’aboutit à aucun résultat. C’est frustrant parce qu’on se rend compte qu’on est en train d’enlever du temps à la recherche en cherchant des financements pour faire de la recherche ».

Le problème n’est pas seulement la difficulté de signer un contrat post-doc mais aussi la manière avec laquelle il est conçu : « La durée du post-doc est généralement d’un ou deux ans, parfois uniquement six mois. Imaginons un chercheur qui arrive dans une nouvelle ville, il doit s’occuper de questions administratives, de trouver une maison, s’intégrer dans une équipe, écrire des articles et faire des séminaires, et si le contrat est d’un an seulement, il lui faut aussi commencer la recherche d’une nouvelle position. Dans ces conditions, il est impossible de développer un parcours de recherche sérieux et de ne pas avoir un parcours qui ne soit pas fragmenté. »

Cette précarité contractuelle a également des conséquences directes sur la vie privée. « Le vrai drame concerne la vie sociale et privée. Bien que changer de résidence et de voyager soient stimulant et permettent de créer des liens entre les équipes de chercheurs, l’idéal serait de le faire en ayant un poste permanent, ou avec la possibilité d’être sûr de le trouver lorsqu’on veut se stabiliser. Mais ce n’est pas le cas. Je suis couvert pour deux autres années, mais je n’ai aucune idée de ce qui suivra, ni la sécurité de trouver un contrat à durée indéterminée. Je connais des personnes qui, après deux ou trois post-docs, ont dû abandonner la carrière académique parce qu’ils voulaient s’installer durablement et fonder une famille. Dans trois à cinq ans, moi aussi je devrai faire un choix similaire. » Andrea me pousse aussi à réfléchir sur la problématique des cotisations de retraite qui connaissent des régimes très divers hors de l’Union européenne, sans savoir où l’on passera le reste de sa vie. Dans ces conditions, penser à un projet à long terme et se protéger pour l’avenir est utopique.

Enfin, les universités ne financent pas assez de places pour répondre à la demande des chercheurs et les réductions de budget sont fréquentes. En France, cela est compensé avec une augmentation des contrats Cifre (Convention industrielle de formation par la recherche) qui est une typologie de convention qui associe trois partenaires : une entreprise qui bénéficie d’une aide financière pour recruter un doctorant dont le projet de recherche est mené en liaison avec un laboratoire extérieur, mais cela exclut tous les domaines qui n’intéressent pas le secteur de recherche scientifique et privé. Des contrats peu payés ou trop courts et l’impossibilité de programmer sa vie font de la recherche une carrière précaire dont le moteur est alimenté par la seule passion et les sacrifices des chercheurs.

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