Alors que l’été approche, nombreux sont ceux qui désirent se « rendre utiles » durant leurs vacances. Pour répondre à cette nouvelle demande, divers organismes proposent des séjours « humanitaires » pendant lesquels les vacanciers viennent en aide à une population défavorisée. Promouvant des façons de voyager indépendantes des logiques économiques, ces organismes qui sont en fait des entreprises à but lucratif entretiennent dans ces pays une vraie dépendance. Un nouveau nom a été donné à ces pratiques multiples, partant de bons sentiments et aboutissant à des rapports inégaux : le volontourisme.
Par Mathilde Ansquer
AUX ORIGINES D’UN CONCEPT
Ce mot-valise formé à partir des mots « volontaire » et « tourisme » désigne la pratique consistant à passer des vacances dans un pays étranger, souvent défavorisé, tout en participant à un projet présenté comme humanitaire. Ces séjours sont généralement payants et coûtent plusieurs milliers d’euros. L’origine du volontourisme pourrait se trouver dans le fait que l’accession aux loisirs dans les pays riches a eu pour conséquence un tourisme de masse qui a entraîné une dégradation de l’image du touriste. En parallèle, dans un contexte d’individualisation croissante des pratiques, nombreux sont ceux qui réclament un séjour « sur mesure », « loin des sentiers battus ». Pour répondre à cette nouvelle demande, des organismes se sont développés, proposant des « vacances utiles » et « authentiques » à des Occidentaux en quête de bonne action et d’aventure.
DES SÉJOURS POSANT DE RÉELS PROBLÈMES LOCAUX
Loin de développer l’activité locale et de venir réellement en aide aux communautés, ces projets sont proposés par des entreprises à des clients sans exiger d’eux la moindre qualification. Ainsi, à la question « Faut- il une formation ou une qualification particulière ? », la FAQ de l’organisme Projects abroad répond : « Non. Pour la majorité de nos missions et stages, aucune qualification particulière n’est nécessaire ». Pourtant, le site propose des missions d’enseignement ou de soins… Alors que le volontouriste sera ravi à son retour d’avoir appris cinq comptines en anglais à une classe d’enfants à Belize, les enfants en question auront vu défiler devant eux un nombre incalculable d’individus dont les enseignements ne sont pas coordonnés et sont loin des programmes officiels. C’est le problème de ces séjours qui ne prennent aucunement en compte les contextes locaux voire contribuent à aggraver les problèmes existants. Lorsqu’un groupe de jeunes volontaires va construire une école, il met au chômage la population locale qui aurait pu, elle, réaliser ce chantier. Parfois, ces chantiers sont inutiles à la population et conduisent à un désastre écologique. Un cas célèbre de dérive du volontourisme est la création de faux orphelinats au sein desquels des groupes d’enfants sont enlevés à leurs parents pour que des volontouristes puissent venir mener des missions auprès des « orphelins ».
Il n’est en effet pas dans l’intérêt de ces entreprises de contribuer à améliorer concrètement la situation sur place car les difficultés présentes dans le pays constituent leur fonds de commerce et leur raison d’être. Si les clients ne considèrent plus leur action comme étant utile, ils ne paieront pas pour la mener. En maniant parfaitement la communication, ces entreprises monétisent la pauvreté et en arrivent à ressembler à des associations. De cette manière, un client devient un « volontaire », une destination un « pays d’action », un séjour une « mission » et il faut mener des recherches sur leur site internet pour s’apercevoir de ce que sont vraiment ces organismes.
Ces vacances coûtent plusieurs milliers d’euros et proposent à n’importe qui de s’impliquer dans un projet créé de toutes pièces. Ce qui amène à se poser une autre question : que nous enseigne l’essor du volontourisme ?
DES RÉFLEXIONS À MENER
Une hypothèse possible est que cette tendance reflète une frustration de la part d’individus n’ayant pas de compétences réelles et désirant quand- même « se rendre utiles » ; mais ce n’est pas parce qu’on sait lire qu’on peut devenir enseignant. En France, on ne laissera pas n’importe qui accéder à une salle de classe pour donner des cours. Il y a des diplômes, des qualifications à avoir. Ces séjours vendent de la bonne conscience et font croire que l’argent peut acheter des compétences.
Il convient aussi de s’interroger sur les comportements des volontouristes lors de leurs séjours. Alors que les entreprises proposent une expérience basée sur le partage, force est de constater que les relations sont asymétriques. Comment prétendre partager le quotidien d’une population lorsqu’on vit dans une villa avec d’autres volontaires ? Comment prétendre respecter l’autre quand on poste sur Facebook des photos se mettant en scène au milieu d’un groupe d’enfants dont les parents n’ont bien entendu pas été consultés avant la publication ? Car c’est là un autre aspect de ce « tourisme humanitaire » ; les volontaires se permettent des actions qu’ils ne feraient pas en France.
DES MODES D’ACTIONS ALTERNATIFS
Alors comment ne pas tomber dans le piège lorsqu’on veut s’engager ? Les réponses sont multiples, il est d’abord évident que les organisations non gouvernementales portent a priori un projet utile aux communautés locales. Ces projets cherchent avant tout à répondre à des besoins locaux et ne sont pas créés sur mesure. Une autre solution est de laisser tomber le « volon- » et d’accepter d’être un touriste ordinaire, tout en promouvant d’autres formes de voyager et de vivre plus respectueuses de l’environnement et de l’autre.