World Press Photo expose à la Cité: la protestation démocratique en action

Hong Kong, Alger, Paris, Santiago, Modderdam, Istanbul, Saigon, Téhéran, Kinshasa, Khartoum, Washington, Lima, Pékin, Caracas, Charlotte, Baton Rouge, Lennon Ball, Chicago, Bangkok, Belgrade, Le Caire, Gaza, autant de lieux étalés sur les grilles de la cité internationale universitaire de Paris dans le cadre de l’exposition « People Power. Témoignages des mouvements de contestation depuis 1957 ». Cette exposition visant à promouvoir les droits humains et la liberté d’expression ainsi qu’à défendre une presse indépendante recouvre les barreaux qui bordent notre parc, du côté du Boulevard Jourdan. 

C’est avant tout l’occasion de découvrir des villes de pays qui ne sont pas représentés au sein de la Cité, exception faite des Etats-Unis d’Amérique. Chaque image illustre une protestation de la population d’un pays contre une forme d’oppression. Cela va de la contestation de résultats électoraux aux protestations contre les violences policières en passant par des mouvements d’émotion politique collective. L’on retiendra le sublime cliché de Fabio Bucciarelli des manifestantes à Santiago de Chile, les yeux barrés d’un voile noir, les bouches criantes cerclées de rouge-à-lèvres, symbolisant les sources patriarcales de l’oppression des femmes. Le vert du bandana à leur bras, en soutien aux mouvements pro-légalisation de l’avortement, elles étaient descendues dans les rues en 2019 pour demander une révision de la constitution dérivée de l’emprise de Pinochet sur le pays, constitution légalisant la privatisation des biens communs que sont l’eau et l’électricité. Ce mouvement de la population mobilisé contre des mesures néo-libérales instaurées sous la dictature s’est vu couronné très récemment d’un succès électoral impliquant une future réécriture de la constitution. 

Si les protestations des populations de certains pays aboutissent parfois, d’autres s’enlisent et ne semblent jamais pouvoir conclure : l’espoir y étant à la mesure de lui-même, c’est-à-dire sans mesure, les politiques entreprises ne peuvent alors jamais étancher la soif illimitée d’égalité et de justice. Cette exposition réalisée par « World Press Photo », association mondialement célèbre pour son concours éponyme, retrace tragiquement les perpétuelles manifestations contre le racisme et les discriminations basées sur la couleur de la peau. Réalisée par Douglas Martin en 1957, l’épuisante photographie de Dorothy Counts, première étudiante noire à intégrer le lycée Harry Harding à Charlotte aux USA, où on la voit impassible et indifférente aux vociférations gestuelles de ses camarades aux yeux stupides de leur abîme grégaire, l’empêchant d’aller suivre ses cours.  Cette photographie produit un triste écho aux autres évoquant les protestations très actuelles contre la violence de la police envers les états-uniens noirs. Mais l’on voit encore, dans des photographies du Hirak à Alger où du mouvement des parapluies à Hong Kong, en dépit de la démesure des rêves politiques, la lueur démocratique guidant la population dans ses luttes contre les oppressions de régimes militaire, théocratique ou encore ploutocratique.

Cette exposition a la vertu de nous montrer que ce sont les protestations d’hier qui font celles d’aujourd’hui, soit parce qu’elles n’ont pu aboutir et que l’espoir du changement pour la dignité humaine est toujours présent, soit parce qu’elles ont pu aboutir et qu’elles ont pu donner le goût de l’insatisfaction, de l’opposition légitime, le goût de la démocratie, à toute une génération. 

Par son engagement en faveur des droits humains depuis sa fondation en 1955, World Press Photo nous donne l’occasion de comprendre ces liens qui se tissent entre le passé et l’actualité politique par l’histoire des protestations de la population. Plus encore, elle défend un métier en perdition aujourd’hui dans le flot anonyme des photos déversées dans les canaux des réseaux sociaux ; elle défend le métier de photographe de presse, qui seul est capable de faire parler les images avec des mots indicibles qui ne résonnent que dans l’intime rapport que nous possédons chacun avec le pouvoir, de quelque nature qu’il soit. Ainsi, Yasuyoshi Chiba capture, à Khartoum, au Soudan, en 2019, au milieu d’une salle bondée plongée dans la pénombre troublée seulement par quelques lumières de portables, la bouche ouverte d’un adolescent récitant un poème contre le gouvernement militaire. Il a le teint fiévreux et la face déformée par la force de la scansion poétique révoltée. Ainsi, Corentin Folhen capture, à Paris, place de la Nation, en 2015, l’inouï cliché de la liberté d’expression guidant le peuple après les attentats ayant touché le journal Charlie Hebdo. Subordonner l’esthétisme et la symbolique de la photographie à la cause des droits humains, voilà le fil dé-barbelé de l’exposition « People power », le long de laquelle on aurait tort de seulement allonger le pas et de ne pas arrêter le regard. Le 30 mai, l’exposition plie bagage. 

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