La primaire de la confusion

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Pour la deuxième fois, la gauche organise des primaires citoyennes en vue de sélectionner le candidat qui représentera le Parti socialiste aux élections présidentielles de mai. Début d’année chargé, donc, pour les sept candidats qui ont enchaîné trois débats télévisés en une semaine. Après une campagne express et une audience dont il a été difficile de capter l’intérêt, à 20h45 le directeur de campagne annonce l’issue du premier tour… Et ce seront Manuel Valls et Benoît Hamon qui s’affronteront aux urnes dimanche 28 Janvier.

Comment revenir sur cette primaire qui a mis en lumière les clivages au sein du Parti socialiste?

Un petit rappel pour nous, étudiants de la Cité universitaire, qui ne sommes pas tous nécessairement familiers avec le système électoral français. Pour voter à la primaire de la gauche, il fallait remplir trois conditions : être muni de sa carte d’identité, être inscrit sur les listes électorales et signer une charte d’adhésion aux valeurs de la gauche et des écologistes. Le vote n’était donc pas restreint aux adhérents du Parti socialiste, d’où l’appellation de “primaire ouverte”. Ce qui, au départ, aurait dû être une primaire réunissant tous les candidats de gauche a finalement été restreint aux acteurs de la “Belle Alliance Populaire”. Pour se présenter, les candidats devaient réunir un certain nombre de parrainages, à moins de faire partie d’un “micro-parti”, ce qui leur donnait un accès immédiat à la primaire.

Sept candidats s’affrontent alors dans une campagne express : Benoît Hamon, Arnaud Montebourg et Manuel Valls du Parti socialiste (PS), Jean-Luc Bennahmias du Front démocrate, François de Rugy du Parti écologiste et la seule femme en lice, Sylvia Pinel, du Parti radical de gauche. Comme pour la droite en novembre, trois débats sont organisés. Sans surprise, il a été question de sujets au cœur des débats actuels tels que la laïcité, l’immigration, le 49:3 ou encore la loi El Khomri, mais aussi de sécurité sociale, de politique extérieure (notamment de la position de la France et de l’Europe face à Poutine et au nouvel ordre politique mondial orchestré par Trump). Les journalistes n’ont pas manqué l’occasion de parler de Macron, sujet sensible pour la gauche. Néanmoins, le mot d’ordre sur lequel tous les candidats ont insisté était celui du “rassemblement” – des Français, mais aussi de la gauche.

Le quinquennat de François Hollande a en effet été marqué par des conflits au sein du gouvernement et du parti. On aurait pu s’attendre à ce que la primaire et les débats tournent au règlement de compte en direct, mais ça n’a pas été le cas. Étant donné qu’en participant, les candidats s’engagent à respecter les résultats de la primaire, il fallait convaincre les Français que la gauche était, dans une certaine mesure, unie. D’où, peut-être, des débats jugés “feutrés” voire “ennuyeux”, malgré une audience plutôt correcte.

Mais la raison du manque d’engouement des Français pour cette campagne réside sans doute dans une autre vérité, plus douloureuse pour le Parti socialiste : personne ne croit à une gauche qui gagne.

Pourquoi?

Historiquement, la France se positionne plutôt à droite : Hollande n’étant que le deuxième président de la République à être issu d’un parti de gauche après François Mitterrand. En parallèle, il est difficile de ne pas mentionner l’indéniable montée du populisme en Europe face aux vagues de migrations et aux attentats. Or la peur rend les citoyens plus enclins à se tourner vers un discours d’extrême-droite, qui demande peu d’effort d’analyse et de compréhension, et moins réceptifs à un discours social qui promeut l’acceptation de l’autre et une plus grande ouverture des frontières.

Mais, outre des raisons historiques ou sociétales globales, qui sont des phénomènes externes, le manque de crédibilité de la gauche française résiderait aussi dans ses caractéristiques internes. Les sept candidats étaient malgré eux les héritiers d’un bilan difficile à soutenir aux yeux de l’opinion publique. Même Valls, pourtant Premier ministre de François Hollande pendant deux ans, a préféré s’abstenir de commentaires en déclarant simplement qu’il avait été “content de servir la France dans cette période difficile”. Quant aux autres candidats, ils préfèrent s’en distancier, voire tenter d’occulter le sujet. Il est certes difficile de s’inscrire dans la continuité d’un président qui a enregistré un score de 4 % dans les sondages de satisfaction et qui a beaucoup fait parler de lui pour son manque de charisme ou encore sa maladresse dans certaines prises de positions. Néanmoins, mettre en lumière les bons coups du quinquennat tout en affirmant leurs différences aurait peut-être véhiculé un esprit de responsabilité, de stabilité et de cohérence au sein du parti.

Le capitaine quitte le bateau ?

Le fait que François Hollande ait brillé par son absence n’a pas facilité la chose. Beaucoup se sont demandé s’il était judicieux qu’il y ait près de 100 000 kilomètres entre lui et les bureaux de vote dimanche dernier, particulièrement lorsqu’on sait qu’il a été à la tête du PS pendant près de dix ans avant de présider la République. De quoi donner matière à ses détracteurs qui l’avaient déjà accusé d’avoir favorisé l’émergence de frondeurs au sein du gouvernement avec une gauche sociale libérale peu assumée. Sans mentionner le fait que son renoncement à la présidentielle, annoncé en décembre, a eu l’effet d’un coup de tonnerre sur la scène politique : c’est la première fois qu’un président ne se représente pas. Conscient de ne pas faire l’unanimité, Hollande avait probablement pour intention de ne pas fragmenter davantage son parti ; car même si quelques-uns de ces ministres, comme Michel Sapin, le voyaient comme le candidat le plus à même de réunir la gauche, nombreux étaient ceux qui en doutaient. Son absence aux urnes a cependant mis en exergue le manque de cohérence interne du parti.

Une faible mobilisation

Pour conclure une primaire déjà chaotique, s’est ajoutée l’incertitude autour du nombre de participants. Certains, suite à un changement de législation sur les prises en compte des déménagements, auraient pu voter deux fois. Au lendemain des résultats, certains journaux, dont Le Monde, avancent l’hypothèse que le nombre de participations aurait été gonflé ; ce que Christophe Borgel (le président du comité d’organisation de la primaire) dément et assure être une “erreur humaine” dans l’actualisation des chiffres. Vrai ou faux, il s’agit d’une ombre supplémentaire au tableau de la primaire.

Au final, la primaire de la gauche aurait réuni entre 1,5 et 2 millions de personnes – soit près de trois fois moins que la droite, et deux fois moins que lors de leur primaire en 2011, traduisant une fois de plus la désillusion des Français par rapport à la gauche.

Qui se ressemble s’assemble ?

Dimanche, ce sont deux gauches différentes qui s’affrontent ; un duel qui cristallise la confusion dans laquelle la gauche est plongée. D’une part, Valls qui incarne la gauche gouvernementale, une gauche sociale libérale qui s’assume et qui se veut réaliste. De l’autre, Benoît Hamon qui tente de redonner sa dimension idéologique au discours de la gauche et qui s’adresse à la fraction des électeurs qui revendique des valeurs bien ancrées à gauche mais qui ne se reconnaît pas dans les positions parfois trop extrêmes de Jean-Luc Mélenchon. D’une part, un candidat qui met en avant son expérience, laquelle ferait de lui l’homme le plus apte à gouverner. De l’autre, un candidat qui tient un discours plus fédérateur, pouvant constituer une réelle gauche face à la réelle droite de François Fillon.

Et dimanche ?

À quoi peut-on s’attendre dimanche soir à l’issue du second tour ? Les défenseurs de Hamon semblent peu enclins à soutenir Valls ou Macron si leur candidat ne passait pas lors du second tour (même si les sondages le portent gagnant, l’année 2016 nous a appris que les sondages sont des voyantes peu fiables). Il leur resterait donc comme option Mélenchon ; mais certaines de ses positions dérangent. En revanche, les partisans de Valls pourraient se tourner vers Macron si leur candidat venait à être éliminé. Dans les deux cas, il est incertain que les socialistes respectent l’issue de la primaire de la gauche. En témoigne la déclaration de Valls le 22 janvier, selon laquelle les adhérents au Parti socialiste auraient un choix entre une “défaite assurée et une victoire possible”. Une déclaration incitant à renforcer le clivage entre deux gauches prétendument incompatibles.

C’est un nouvel épisode de la saga présidentielle qui s’achève dimanche. Sortez vos pop-corn (ou vos mouchoirs) : les prochains mois risquent d’être mouvementés.

Par Hélène Seynaeve

Chef de pupitre Actualités internationales 

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