Petit manuel du discours politique

Face au bourgeonnement accéléré de formes non discursives d’expression politique représentées par M. Donald Trump, ainsi que le crédit trop important attaché à la forme d’un discours en période électorale, il m’est apparu important d’effectuer un retour sur les fondements théoriques de l’exercice.

Selon Christian le Bart, docteur en sciences politiques, trois interprétations distinctes du discours politiques permettent de convenablement l’analyser. La première, l’approche structurelle, est emprunté à Bourdieu, puisque se basant sur des notions tel que le champ et l’illusio. Résumées brièvement, leurs interattractions pourraient être décrites de la manière suivante : Le champ politique est déterminé, comme tous les champs chez Bourdieu, par un certain nombre d’objectifs et un système d’évaluation et de récompense propre. Au sein de ce champ, l’illusio est une forme de croyance : « Tous les acteurs d’un champ en partagent l’illusio, c’est ce consensus (souvent invisible de l’intérieur) qui rend les jeux internes au champ non seulement possibles mais même partiellement prévisibles. » Deux composantes de celui-ci, dans le cas français, transcendent les oppositions : à l’intérieur du champ politique, il est proprement impossible de remettre en question la « grandeur originelle » que le pouvoir politique tire du suffrage universel, ainsi que que la « grandeur fonctionnelle » de l’état qui serait pourvu d’une indéniable capacité

à agir sur les problèmes les plus aigus d’une population. De part son interprétation structurelle, n’attendez plus du discours politique une remise en question d’un suffrage universel qui n’est en aucun cas l’unique pourvoyeur de légitimité des gouvernants, et constatez comment chacune intervention discursive est empreinte d’un refus. Le refus d’admettre que le pouvoir politique ne puisse être qu’une vaste mascarade derrière laquelle se meuvent des groupes d’intérêt.

S’ensuit, au cœur de ce champ, la naissance d’une seconde caractéristique : l’approche stratégique, ou logique de position. La contrainte de l’illusio est grande, certes. Lionel Jospin, par exemple, en a amèrement fait l’expérience en diffament des adversaires légitimés par le suffrage universels ou en admettant l’incapacité de l’état face à la question sociale. Deux remises en question qui ont provoqué un tollé considérable, le suffrage universel étant le « capital » propre au champ. Son accumulation, de fait, désigne donc les référents inébranlables de ce champ.

Au sein de cet espace d’expression restreint, les positions stratégiques sont donc des variations autour des thèmes principaux de l’illusio. Les positionnements et discours ne répondent en ce sens que très peu à une logique externe, celle du désir des votants, mais bien plus du positionnement relatif des membres du champ politique. Une grande majorité des discours est ainsi pensée en opposition à d’autres. L’opposition sémantique entre droite et gauche en est l’un des symptômes.

Même dans le cas d’un discours plus minoritaire et radical, qui devrait à priori s’affranchir de certaines croyances, la foi dans l’illusio garde toute sa force pour une raison simple : le changement de système, le changement de modèle, passe par une volonté avant tout politique. L’idée est somme toute terriblement conformiste. Le pouvoir politique reste le vecteur de changement, seul change dans le discours le procès d’intention au pouvoir en place qui caractérise l’opposition.

La prédominance d’une logique stratégique interne au champ n’exclue bien évidemment pas l’intervention de l’extérieur. L’accumulation du capital « suffrage », propre au politique, est ainsi soumise à une logique électorale.

Le manque d’autonomie du champ implique l’importation de « grandeur alternatives », différentes des « grandeurs fondatrices » que sont la capacité d’action de l’état et le suffrage universel. Ces grandeurs alternatives, qui doivent servir à légitimer l’action du champ politique, sont de plus en plus invoquées face à l’essoufflement des « fondatrices ». La crise de légitimité des dirigeants vient d’ailleurs peut-être de leur incapacité à imposer ces valeurs fondamentales à « l’extérieur ».

Une tendance claire se dégage alors : face à l’absence de légitimé du rôle en tant que tel, c’est le titulaire du rôle qui doit être légitimé. Le politique se retrouve alors contraint au charisme, son intimité devient une bataille électorale. D’où la relative mouvance du « discours politique » à l’heure où le champ tend à perdre de son autonomie.

Monsieur Macron, pour ne citer que lui, est l’expression même de cette évolution. Si l’intrusion dans la vie privée des politiques était autrefois motivée par un désir sain de vérité, celui de percer l’illusio et d’en dévoiler l’artificialité, cette privacité est désormais mise en scène jusqu’en couverture de Paris Match. De part cette « bulle médiatique » (issue selon Marianne d’un calcul d’écart entre la part occupée sur les réseaux sociaux et la part d’affichage médiatique), Emmanuel entend créer une dynamique. La seule réelle nouveauté de « En Marche » réside dans la compréhension de son leader des nouvelles sources de la légitimité. L’absence d’un programme est bien évidemment volontaire et est l’expression la plus poussée de cette compréhension. l’émancipation qui est celle du jeune loup face à la logique de position dans le champ, sur laquelle il insiste pesamment, répond elle aussi à cette logique, de même que la volonté de ratisser large sur la base du seule charisme du personnage. De la colonisation à la prise en compte des minorités blessées de la manif pour tous, Macron a poussé l’évolution du champ politique à ses extrêmes. Des sommets conscients et subtiles d’arrivisme, qui pourraient bien entériner son échec. Avec une erreur grossière en tête de gondole : celle d’oublier la ténacité de la grandeur politique originelle. Le suffrage universel nous éclairera.

 

Par Pauline Barcat

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