Les bioénergies oui, mais lesquelles ?

Principal usage de la biomasse, le chauffage par combustion se fait par exemple en brûlant des pellets, plus efficients énergétiquement que du bois transformé © tchara, Shutterstock.com

Dans un rapport publié en 2019, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) abordait la question des bioénergies : elles seraient un bon moyen de lutter contre le changement climatique. On parle pourtant peu de ces renouvelables qui représentent déjà une part non négligeable du mix énergétique. On parle encore moins des écueils qu’il s’agira d’éviter si on veut une énergie qui remplace avantageusement les énergies fossiles sur les plans environnemental et économique.

En 2019, la production mondiale d’énergie était carbonée à hauteur de 84,3 % et représentait trois fois celle de 1965. La situation est très variable d’un pays à l’autre mais une chose est sûre, il est urgent de trouver des alternatives crédibles aux énergies fossiles et ce pour plusieurs raisons : la raréfaction des gisements de qualité, les émissions de gaz à effet de serre (GES) qui résultent de leur conversion, la dépendance énergétique et les risques géopolitiques qui lui sont associés.

Aujourd’hui, les énergies renouvelables sont en plein essor et si on parle beaucoup de l’éolien, du solaire ou encore de l’hydroélectricité, on parle beaucoup moins des bioénergies qui représentent pourtant la principale source d’énergie renouvelable à l’échelle mondiale.

Mais qu’est-ce que les bioénergies au juste ?

Les bioénergies sont les énergies produites à partir de la valorisation de la biomasse, qui peut être définie comme la fraction biodégradable et renouvelable de toute matière organique. Quand on parle de biomasse, on parle du bois, des résidus de l’industrie forestière ou agricole, de cultures dédiées, comme le colza ou le peuplier, et enfin de déchets organiques, par exemple les boues issues du traitement de l’eau dans les stations d’épuration. Le principal usage de la biomasse est le chauffage par combustion (75 % de l’usage de la biomasse dans l’UE), majoritairement de résidus forestiers. La biomasse peut également permettre d’obtenir des produits intermédiaires comme l’éthanol, qui servira de biocarburant, et le biogaz qui peut également être utilisé comme carburant mais aussi pour produire de la chaleur et de l’électricité.

Les procédés pour les obtenir sont eux aussi très divers, ils peuvent être thermochimiques comme la gazéification, biologiques à l’image de la méthanisation des déchets, ou encore biochimiques avec l’utilisation de micro-organismes.

L’énergie propre n’existe pas

Toute énergie produite et consommée a un impact sur l’environnement. En effet, plusieurs composantes environnementales sont susceptibles d’être affectées par la production d’énergie : la qualité de l’air (émissions de GES, pollution aux particules fines), la qualité de l’eau, la qualité des sols (érosion, séquestration carbone et nutriments) etc… Ainsi, l’éolien et le solaire nécessitent l’utilisation d’une grande quantité de matériaux qu’il faut extraire à l’autre bout du monde, comme le cuivre ainsi que le minerai de fer pour l’acier ; tandis que les centrales hydroélectriques peuvent bousculer les écosystèmes aquatiques en aval.

Il en va de même pour les bioénergies. Il s’agit alors de s’assurer que l’analyse de cycle de vie (ACV) de ces énergies atteste d’un meilleur impact environnemental que les énergies fossiles, voire d’un impact neutre ou négatif. L’ACV est une méthode qui permet de prendre en compte l’ensemble des impacts environnementaux évoqués d’un procédé, et sur toute la chaîne de valeur, jusqu’à la consommation du produit et l’éventuel recyclage.

Le principal avantage des bioénergies est qu’elles permettent de fermer une boucle, la boucle des émissions carbone. En effet, si on prend l’exemple d’une conversion par combustion, celle-ci restitue la même quantité de CO2 que celle absorbée pendant la croissance de la plante. Emission et absorption du CO2 sont très proches dans le temps, ce qui entraîne un bilan équilibré. Ce qui n’est pas le cas pour les énergies fossiles où le carbone est relâché plusieurs centaines de millions d’années après son absorption. Ce n’est cependant là qu’une toute petite partie de la chaîne de valeur.

Des choix à faire sur toute la chaîne de production

Un sujet qui fait débat est celui des carburants de première génération. Largement répandus dans certains pays, ce sont les agrocarburants produits à partir de cultures traditionnellement dédiées à l’alimentation comme la canne à sucre, ou l’huile de palme. Ils sont critiqués pour la menace qu’ils constituent pour la sécurité alimentaire mondiale et pour les campagnes de déforestation que leur développement engendre dans certains pays émergents. Il est donc préférable de privilégier des solutions qui permettent d’éviter autant que possible les changements d’affectation des terres. Il est possible de n’utiliser que les résidus d’autres cultures comme la bagasse (résidu fibreux de la canne à sucre) ou les déchets de la foresterie pour le chauffage. Une autre solution consiste à valoriser les terres marginales – qui sont des terres inutilisables pour la production agricole alimentaire parce que protégées ou polluées – pour y cultiver des espèces dédiées à la production d’énergie. Il reste à voir si ces solutions sont viables à grande échelle.

Un exemple de bonne pratique est celui de la valorisation de l’ensemble de la biomasse pour ne pas gaspiller de matière. Matière qui, si elle n’est pas utilisée, aura nécessité la consommation d’énergie (intrants comme les pesticides, carburant pour le transport) en pure perte. Utiliser des résidus agricoles, des déchets organiques issus du traitement de l’eau ou des résidus de l’industrie forestière consiste déjà en une valorisation de co-produits, qui sont la matière annexe créée lors de la fabrication du produit principal. Cette valorisation relève de l’économie circulaire, vertueuse pour l’environnement. Il est possible d’aller plus loin en valorisant les co-produits issus du procédé de production de l’énergie, les déchets si on veut, soit en les utilisant comme combustible à réinjecter dans le circuit de production, pour produire la chaleur nécessaire au procédé de conversion, soit en fabriquant d’autres produits comme des adhésifs.

Bien d’autres paramètres sont évidemment à prendre en compte, notamment le choix de l’espèce cultivée, qui fait largement varier la quantité d’intrants nécessaires, et le taux de recours à de la machinerie agricole et aux camions de transport tous deux consommateurs de carburant.

Quand efficacité énergétique, soutenabilité et rationalité économique coïncident

Si le bilan environnemental d’une énergie est une donnée cruciale, la rentabilité économique est un enjeu tout aussi important : elle est garante de la pérennité des acteurs du secteur et d’un prix acceptable pour le consommateur. Les trois principaux facteurs susceptibles d’influer sur la rentabilité économique sont l’organisation de la chaîne de valeur, autrement dit la supply chain, l’efficacité du procédé, qui va se traduire par l’efficience énergétique, et enfin l’atteinte d’un seuil critique pour réaliser des économies d’échelle.

L’enjeu est donc de trouver un fragile équilibre, de réaliser des arbitrages, mais aussi de poursuivre les efforts de recherche afin de permettre l’industrialisation des procédés et d’améliorer l’efficience énergétique. Celle-ci est le rapport entre l’énergie produite et l’énergie apportée, sur toute la chaîne de valeur, qui doit être supérieur à un. Il serait en effet inefficace d’un point de vue environnemental et économique, de consommer plus d’énergies fossiles – qui représentent actuellement l’essentiel de la source d’énergie nécessaire dans le processus de conversion – que l’on en produit.

Enfin, l’utilisation de la biomasse, conjointement avec les autres énergies renouvelables, peut permettre une reconfiguration des réseaux de transport de l’énergie pour une plus grande résilience. Le développement des bioénergies peut en effet contribuer à cette évolution en jouant sur trois facteurs : l’indépendance stratégique, la décentralisation et la stabilité de la production. Ainsi, les ressources locales permettent une indépendance énergétique qui s’avère stratégique, comme l’a démontré le blocage du canal de Suez par un cargo pendant près d’une semaine en mars dernier.

Ces ressources biomasses étant réparties sur tout le territoire, une certaine décentralisation de la production peut être opérée, que ce soit pour les cultures ou les stations d’épuration qui peuvent produire du gaz de ville. Pour améliorer la résilience, ces différentes sources d’énergie devront être interconnectées pour pallier d’éventuelles déficiences. De plus, les bioénergies ne présentent pas les problèmes d’intermittence des autres énergies renouvelables, comme le solaire, et offrent une possibilité de stockage, sous forme de bûches par exemple ou de gaz. Cette ressource peut donc être intéressante en complémentarité avec les renouvelables traditionels.

Une partie de la solution du problème énergétique est de toute façon dans la diversification du mix énergétique et l’adaptation aux contraintes locales. Rappelons également que la baisse de notre consommation énergétique passera par une plus grande efficacité et un changement de nos modes de consommation.

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