L’eau qu’on a versée, on ne peut plus la ramasser – Des journalistes en exil

Photo by Étienne Godiard on Unsplash

Journalistes, vos papiers ! est un long métrage de Laurène Lepeytre qui aborde le thème de l’exil vu sous le prisme de journalistes forcés de fuir leur pays d’origine à cause de leurs activités médiatiques. Se pose alors la question de l’identité liée à une origine, un contexte et un métier.

Diffusé aux Grands Voisins (Paris 14ème, Denfert-Rochereau) le mercredi 10 Mai, Journalistes, vos papiers ! de Laurène Lepeytre tire le portrait de trois journalistes contraints de fuir leur pays d’origine pour se réfugier en France. Le long-métrage commence par une citation de Victor Hugo : « L’exil est une espèce de longue insomnie ». L’insomnie c’est le départ, mais c’est aussi l’arrivée où il faut se construire une nouvelle vie en France et repenser son identité.

La voix-off, lisant des extraits du Journal d’un réfugié politique d’Ahmet Zeidane Bichara, écrivain et journaliste tchadien, ainsi que trois journalistes de la Maison des Journalistes, centre d’accueil et d’accompagnement de professionnels des médias exilés, témoignent de leur longue nuit blanche.

Le départ – Les mots, on ne peut pas les reprendre

Ahmed Kaci, journaliste algérien, décrit l’exil comme une forme de déni démocratique auquel les journalistes doivent parfois se soumettre s’ils ne veulent pas mettre leur vie en péril. En 2011, le gouvernement algérien adopte une loi qui dépénalise les crimes de presse – mais les journalistes ne sont pas pour autant au bout de leurs peines puisque de nombreux comportements sont encore susceptibles d’être punis d’amende. Ahmed Kaci dénonce l’hypocrisie du gouvernement, qui apaise les tensions tout en érigeant une liste si longue et floue de pratiques proscrites que tout journaliste peut potentiellement en faire les frais : « Même pour créer son propre journal il faut être dans les bonnes grâces du régime politique ».

Tcheïta Vital a dû elle aussi fuir Haïti suite à un désaccord politique. Son crime ? Avoir interviewé le président au moment des élections et posé des questions jugées « dérangeantes ». Les menaces de mort la forcent à fuir clandestinement le pays dès le lendemain.

Enfin, Soro Solo animait une émission de radio en Côte d’Ivoire qui donnait la parole « à tous ceux qui ne l’avaient pas habituellement ». Avant chaque émission, il vérifiait les lois en vigueur pour s’assurer de ne pas tomber dans la « diffamation ». Mais ces précautions se sont révélées insuffisantes et à son tour il a rejoint la France.

L’arrivée – Les lions parisiens

À présent, Ahmed multiplie les petits boulots. Il tient tout de même à exercer à mi-temps, le métier de journaliste faisant partie intégrante de son identité. En effet, outre les difficultés liées à l’obtention du statut de réfugié auxquelles doivent faire face les journalistes exilés, il leur est difficile de faire valoriser leur expérience professionnelle en France et d’être pris au sérieux. « Quand tu viens d’Afrique et que t’arrives ici, c’est pas de la radio que tu fais, c’est du tam-tam », s’insurge Soro Solo. Pour lui, ce mépris est le symptôme d’une profonde méconnaissance de l’autre.

« Je n’en reviens pas, je n’avais jamais remarqué que le mur face à l’entrée de la résidence était celui du cimetière du quartier. Comment cela est-il possible ? Nous croyons chez moi qu’à la mort de quelqu’un son double se transforme en lion ou en lionne en fonction du sexe du défunt. La silhouette d’un lion ou d’une lionne terrifie donc tous les habitants du village. Allais-je devenir la proie de tous les lions de Paris ? » (Journal d’un réfugié).

Rester – Le corps étranger

En décidant de rester, se pose inévitablement la question de l’identité. Selon Tcheïta Vital, l’identité est le fruit de plusieurs variables, parmi lesquelles le passé et l’environnement. Elle considère ce dernier comme un fait donné : « il faut t’y faire et t’y intégrer ».

Cela reviendrait au final à une équation simple. En théorie du moins, parce que « quand tu essayes de rentrer dans un corps étranger, il y aura des résistances », explique Soro Solo. Le bagage culturel dont nous sommes empreints, et en fonction duquel nous interprétons les faits qui nous entourent et codifions nos agissements, sont des processus semi-conscients qu’on ne peut prétendre modifier du jour au lendemain. Et les modifier n’est pas la solution ; c’est même une partie du problème. C’est du moins ce que sous-entend Ahmed Kaci quand il accuse la vision essentialiste de l’identité à laquelle il a dû faire face à son arrivée.

Trois chemins différents apportent des points de vue sensiblement disparates sur leur même destination d’arrivée et leur place en son sein. Tous dénoncent néanmoins un jugement face à la misère, provenant d’une méconnaissance profonde de la problématique de la migration forcée et des migrants eux-mêmes.

Au-delà de l’écran

À la fin de la projection, deux journalistes actuellement résidents à la  Maison des Journalistes prennent la parole, tantôt témoignant de difficultés similaires, tantôt nuançant certains propos, notamment ceux tenus sur le service d’immigration français. Sara, documentariste afghane, suit actuellement des artistes exilés en France et la façon dont l’exil a influencé leur art. Outre la barrière de la langue, sa difficulté va être de comprendre la société, chose dont elle dit avoir besoin pour se sentir à l’aise dans son travail. Jibril, originaire de Mauritanie, a quant à lui survécu à plusieurs extraditions, passant par la Tunisie et le Sénégal avant de rejoindre la France. Il travaille à présent par correspondance pour un journal basé à Abu Dhabi, à raison d’un article par mois. Tous deux collaborent à L’Œil de l’Exilé, le journal de la Maison des Journalistes.

Laurène Lepeytre clos la discussion en rappelant que les réfugiés médiatiques écopent d’une double peine : être réfugié et vouloir accéder à une profession bouchée et réservée, en France, à une élite.

Pour accéder aux travaux de Laurène Lepeytre : https://laureal.wordpress.com/

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