La précarité menstruelle : Et si on s’accordait sur une lutte commune?

Distributeur de produits hygiéniques mis à disposition gratuiment devant le CROUS dans la Maison internationale Photo: Mariette Pfister, mai 2021

Par Mariette Pfister

Avoir ses règles, cela n’implique pas seulement souvent des effets biologiques embêtants comme la douleur et des changements d’humeur – dernièrement, un terme a fait son apparition : la précarité menstruelle. Avec des chiffres alarmants, dénonçant que beaucoup d’étudiantes ne savent pas comment payer leurs produits menstruels, des associations étudiantes exigent la prise en charge de ces produits. Mais le problème ne se trouve-t-il pas autre part ?

Le SPM : le syndrome prémenstruel

C’est connu : avoir ses règles, c’est chiant. Beaucoup de femmes se sentent épuisées et ressentent une douleur juste avant ou durant les jours de leurs règles. En effet, depuis quelques années on parle de plus en plus de ce qu’on appelle le syndrome prémenstruel (ou SPM) – un terme qui désigne un ensemble de symptômes apparaissant durant les jours précédant la menstruation. Les symptômes dépendent des femmes tant en ce qui concerne l’intensité que le caractère : nausée, maux au ventre, gonflement douloureux des seins, maux de tête, jambes lourdes, éruptions cutanées ou d’herpès, prise de poids et des changements d’humeur.

« J’ai fini par accepter qu’un jour par mois, le premier jour de mes règles, je ne peux rien faire, je reste dans mon lit. Ça m’arrive que j’avais prévu de sortir avec des potes par exemple, mais ça sert à rien. Limite, je peux étudier un peu chez moi ou lire un livre dans mon lit, même si ma concentration n’est pas top non plus. Mais j’ai arrêté de me forcer de sortir, même avec des anti-douleurs, vaut mieux accepter ».

Une étudiante de 24 ans

Comme le témoigne la citation ci-dessus, plusieurs de mes amies me disent qu’un jour par mois, en raison de leurs douleurs, elles acceptent de devoir renoncer à toute activité et de rester à la maison, plus particulièrement dans leur lit, avec un thé et une bouillotte. Certaines me confient qu’elles prennent régulièrement des analgésiques, pour pouvoir travailler et étudier le fameux premier jour des règles.

Par ailleurs, il y a désormais des premières entreprises qui on introduit un “congé menstruel”, c’est-à-dire que les employées peuvent s’abstenir du travail pour une journée par mois sans besoin de justificatif. Si dans quelques pays, notamment en Asie, il existe déjà de tels règlements (par contre parfois avec des désavantages salariaux), et qu’en Italie, un tel projet de loi a été débattu au Parlement, pour l’instant, aucun pays européen a introduit une loi permettant aux femmes de rester à la maison en raison de la douleur de leurs menstruation sans justificatif de maladie.

Les règles, un tabou

© pixabay

Mais les problèmes ne s’arrêtent pas là. Pendant la période, stigmatisées, nous essayons de cacher notre sang et même le fait que nous avons notre menstruation. Qui ne connaît pas ce chuchotement, d’une fille à une autre : « T’as des tampons ? J’ai oublié… ». Comme s’il s’agissait d’un truc sale qu’il ne fallait pas prononcer à haute voix. Je me souviens du cours de natation au lycée, une de mes copines ne s’était pas changée en maillot de bain. Lorsque je lui demandais pourquoi elle n’allait pas participer au cours, elle m’a répondu : « Problème de fille ». Problème de fille. Pourquoi ne pas nommer les choses ? 

La précarité menstruelle

« La précarité menstruelle concernerait près d’une 1 étudiante sur 3 dans notre pays : c’est inacceptable. »

Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation

En plus de ce tabou qui se brise lentement, les chiffres traitant la situation menstruelle notamment des étudiantes en France sont alarmants. Selon une enquête de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) de 2021, un tiers des étudiantes déclare ne pas avoir assez d’argent pour s’acheter des produits hygiéniques menstruels. Selon le même sondage, 13 % des étudiantes disent devoir choisir, par manque de moyens financiers, entre des produits menstruels et d’autres produits de première nécessité. Et une étudiante sur dix fabrique elle-même les produits hygiéniques, par exemple en utilisant du papier toilette.

Le terme employé pour cette situation délicate est celui de la précarité menstruelle. Souvent reliées à la pauvreté, la notion de la précarité renvoie plus particulièrement à une situation de forte incertitude de conserver ou récupérer une situation acceptable dans un avenir proche.

(Trouvez notre édition juin 2021 dédiquée à la thématique de la précarité ici)

Les conséquences sont graves : tant d’un point de vue sanitaire, que d’un point de vue d’égalité, car la précarité menstruelle impacte directement la réussite des étudiantes qui en sont les victimes. Les femmes qui en souffrent sont susceptibles d’être déconcentrées, n’osent souvent pas en parler et restent même parfois à la maison au lieu d’aller à l’école ou à l’université par manque d’argent pour acheter des produits hygiéniques. Selon un communiqué de presse du Ministère des Solidarités et de la Santé, chaque année, 130 000 filles manuqe réguilèrement l’école pour cette raison.

Considérant ces chiffres et leurs conséquences choquantes, on comprend l’urgence d’agir. Il s’agit  de briser le tabou et surtout de rendre rapidement les produits hygiéniques menstruels gratuitement disponibles. 

Selon la FAGE, la moitié des étudiantes en France dépense en moyenne entre 5 et 10 euros par mois pour des dispositifs pour empêcher le sang de couler sur leurs jambes. Ajoutant d’autres dépenses comme pour des anti-douleur, ainsi que pour des nouvelles culottes, etc., les dépenses passent rapidement à 20 euros par mois.

Depuis quelques années, des associations et militant.e.s se sont mobilisées pour des aides matérielles et luttent pour des politiques contre cette forme de précarité. La politique se réveille également. Ainsi, Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, a constaté : « La précarité menstruelle concernerait près d’une 1 étudiante sur 3 dans notre pays : c’est inacceptable. » De même, lors d’une entretien avec Brut le 4 décembre 2020, le président de la République, Emmanuel Macron, s’est prononcé contre cette forme de précarité. Plusieurs ministères sont chargés de lutter contre la précarité menstruelle : le ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, le ministère des Solidarités et de la Santé, le ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation ainsi que le ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances.

Selon le site du gouvernement, ce dernier vise à faciliter l’accès aux protections périodiques pour les femmes précaires à titre gratuit ou à prix symbolique ; à contribuer à lever le tabou et la stigmatisation sur les menstruations avec des programmes de sensibilisation ; a sensibiliser davantage et dès le plus jeune âge à l’importance d’une bonne hygiène  et finalement à réduire les inégalités entre les femmes et les hommes, notamment en matière d’insertion sociale et professionnelle.

Lors d’une distribution de nourriture gratuite à la Maison du Liban, les associations ont également pensé à emmener des tampons et serviettes hygiéniques pour les étudiantes. Après un petit moment, il n’en reste plus beaucoup.

Ainsi, le gouvernement a mis à disposition des protections périodiques gratuites depuis mars 2021. A la Cité U, on trouve désormais un distributeur de tampons et de serviettes qui a été fourni par le ministère, en collaboration avec l’entreprise Marguerite & Cie. D’autres associations comme les Restos du Coeur qui visent à aider les résident.e.s contre la précarité dû à la pandémie en distribuant de la nourriture gratuite, reconnaissent également l’importance de ces produits.

En total, le gouvernement a prévu de dépenser 5 millions d’euros en 2021 pour lutter contre la précarité menstruelle. Ces réalisations sont des pas dans la bonne direction.

Par ailleurs, quelques mutuelles prennent en charge les produits en question, mais ceci est trop peu connu. (Par exemple, la LMDE rembourse entre 20 et 25 euros par an. Pour savoir si votre mutuelle vous rembourse, il suffit de regarder le règlement ou de la contacter).

Cependant, en considérant les chiffres cités, il se pose une question : si une étudiante en France n’a pas les 5 à 10 euros par mois pour acheter des produits hygiéniques, s’il y a un nombre considérable de femmes qui doivent renoncer à un autre produit de première nécessité pour pouvoir payer des tampons, des serviettes ou des tasses menstruelles, le problème ne se trouve-t-il pas autre part ? Si un tiers des étudiantes ne peut pas dépenser 10 euros par mois pour de telles produits de premières nécessités, cela n’est-il pas plutôt signe d’une précarité tout court ?

Evidemment, nous l’avons montré, il s’agit ici d’une forme de précarité distincte qui touche un certain groupe déjà défavorisé (les femmes pauvres) et qui entraîne des conséquences choquantes, renforçant la position défavorisée de ces individus. Car si on manque l’école, si on ne peut pas se concentrer, si on a peur que quelqu’un voie le sang entre nos jambes, si on doit penser tous les quelques minutes à mettre du nouveau papier toilette car il manque de bons produits, si une fille a peur que quelqu’un ne découvre la situation financière dans laquelle se trouve sa famille, elle n’aura pas les mêmes chances et ses résultats scolaires seront amoindris : elle entre alors dans le cercle vicieux de la précarité.

Même si cette forme pariculière de précarité touche seulement des femmes, et même s’il est urgemment nécessaire de fournir aux filles et aux femmes des produits hygiéniques menstruels afin qu’elles ne soient plus handicapées par leurs menstruations, le vrai problème ne sera pas réglé avec ces dispositifs.

Le problème de base est qu’une dépense de 5 à 20 euros ne devrait pas mettre des étudiantes en difficulté. Si la précarité menstruelle affecte seulement les femmes, d’autres formes de précarité impactent la vie de groupes défavorisés et divers de notre société, unis alors dans la précarité.

Les facettes de la précarité sont multiples et ne se limitent pas seulement à la problématique financière. Nous avons traité quelques enjeux de la précarité dans notre édition juin 2021

La couverture de notre édition juin 2021, dossier Unie face à la précarité

Même sous la pluie, les résident.e.s attendent pendant une heure ou plus la distribution de nourriture des Restos du Coeur à la maison internationale. © Mariette Pfister, Mars 202

Selon une étude de l’Institut de Publique Sondage d’Opinion Secteur (Ipsos) à l’issue du premier confinement en 2020, 74% des jeunes interrogés ont estimé avoir rencontré des difficultés financières. Selon l’Observatoire de la vie étudiante, la même année, 46 % des étudiant.e.s travaillaient et plus que la moitié parmi eux estimait que leur emploi était indispensable pour vivre. Pas besoin d’aller loin : ici à la cité universitaire, la précarité est devenue plus visible durant la pandémie, symbolisée en outre par les longues queues devant la distribution de nourriture gratuite des Restos du cœur.

Et si on s’unifiait pour une lutte contre la précarité commune, tout en soulignant les différents enjeux et difficultés des différents groupes défavorisés ?

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