Par Grégoire Morelli
Tribunal de Paris le 17 décembre. Salle 2.13, le début de l’audience est prévu pour 10 heures. François Ruffin est accompagné de son avocat Mr Alexandre Merdassi. Du côté des accusés, c’est Jérôme Sibille directeur de l’administration générale et des affaires juridiques du groupe LVHM qui représente le groupe. Il est entouré de trois avocats, dont Mr Jacqueline Laffont, connue pour avoir assuré la défense de Nicolas Sarkozy dans l’affaire des écoutes, ou d’Alexandre Benalla.
Une partie des faits reprochées au groupe de luxe remonte à 2013. François Ruffin, qui n’est pas encore député de la Somme, travaille au média Fakir. Le numéro deux de LVMH, Pierre Godé (mort en 2018) souhaite infiltrer le média car le journaliste projette de perturber l’assemblée générale du groupe de luxe. Pour ce faire, Pierre Godé fait appel à l’ancien patron de la direction générale de la sécurité intérieure française (DGSI), Bernard Squarcini.
Celui que l’on nomme “le Squale” a créé en 2013 une société de conseil : Kyrnos. Selon son site internet, la société n’a qu’un objectif : “aider [ses clients] à anticiper les risques et à affronter les menaces”. Pour atteindre cet objectif, utiliser des moyens illégaux n’est pas exclu. Dans le cas de son contrat avec LVHM, Squarcini a usé de ses relations dans la police pour mettre sur écoute François Ruffin, qui réalise à ce moment le documentaire Merci Patron. Une série d’appels téléphoniques (entre Squarcini et Pierre Godé, entre autres) diffusée par Médiapart en 2019, révèle le scandale des écoutes mises en place sur François Ruffin et Fakir.
Peut-on acheter la justice ?
Au début de l’audience, la juge l’a rappelé : le tribunal peut exiger une amende jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires de l’entreprise, soit 14 milliards d’euros pour LVMH. Mais il s’agit du montant maximum prévu par la loi, peu de chance qu’une telle somme soit demandée par le tribunal. D’autant que le groupe de Bernard Arnault a habilement négocié avec la Justice.
Cette négociation a pris la forme d’une convention judicaire d’intérêt publique (CJIP). Grâce à cet acronyme, LVHM a réussi à obtenir l’abandon des poursuites et ne devra s’affranchir que d’une amende de 10 millions d’euros. Ils sont loin les 14 milliards.
A la barre, Jérôme Sibille assure que “le groupe travaille sur son éthique, mais ces choses-là prennent du temps, nous avons mis en place des contrôles pour signaler les profils de prestataires qui auraient eu des précédents avec la Justice”. Il invoque également le fait que, depuis, la gouvernance du groupe a changé.
A son tour, François Ruffin prend la parole et fustige la CIJP passée entre le Parquet et LVMH : “Je suis venu à cette audience en me posant une question, est-ce que LVMH peut acheter la Justice ? Visiblement la réponse est oui.” Il trouve surtout inacceptable le montant de l’amende qui ne représente plus que 0,022 % du chiffre d’affaires du groupe de luxe. Une amende que la juge et le parquet estiment néanmoins “dissuasive”.
Par Grégoire Morelli