Sony Labou Tansi : La vie d’un écrivain iconoclaste

En 1995, il y a vingt-et-un ans, l’écrivain congolais Sony Labou Tansi – pseudonyme de Marcel Sony – disparaissait à l’âge de 47 ans.  Mais il laissait à la littérature africaine et, par-delà, à la littérature mondiale, une œuvre inouïe, monumentale, dont la richesse continue aujourd’hui encore de susciter le débat, d’enrichir la critique et de s’imposer comme un objet d’étude incontournable pour de nombreux chercheurs et universitaires.

Roman dense et passionnant, La Vie et demie, publié en 1979 aux éditions du Seuil, signe l’entrée de Sony Labou Tansi dans le cercle des écrivains. L’intrigue se déroule en Katamalanasie, pays imaginaire d’Afrique dirigé par le Guide Providentiel – Père de la nation et dictateur grotesque et cruel – où les morts ne meurent jamais vraiment. Ainsi Martial, le chef de l’opposition politique qui, même haché, éventré, égorgé, empoisonné, criblé de balle par le Guide, survit malgré tout et continue d’habiter ses rêves, de hanter son quotidien, de s’opposer à ses plans machiavéliques. La fille de Martial, Chaïdana, être fabuleux doté « d’un corps céleste », poursuivra la mission de son père : mettre fin à la dictature du Guide Providentiel et, par-delà, asseoir la paix et la liberté en Katamalanasie.

L’univers de l’écrivain, mi-fantastique, mi-monstrueux, est servi par une  langue inventive  et  une intrigue où les actions s’enchaînent à une vitesse étourdissante sous un aspect complètement carnavalesque.

Un roman satirique

Il faut s’accrocher avant de lire La Vie et demie. C’est une œuvre originale d’un baroque ahurissant. C’est peu de dire qu’on a ici affaire à un imaginaire débridé et un fantastique survolté qui sont utilisés comme moyens de dénonciation et de critique de la dictature, des régimes sanguinaires et de leurs effrayants despotes officiant sous les chaleurs tropicales de l’Afrique noire. En effet, il faut lire La Vie et demie comme une attaque désespérée, une offensive délirante en forme de moquerie, de pied de nez contre l’oppression de ces régimes.  Le Guide Providentiel, despote de son État, tue son opposant le plus farouche et emblématique, Martial, qui refuse de s’éteindre définitivement et devient un spectre porteur de malédiction pour les années à suivre.

L’architecture scripturaire de La Vie et demie est tissée autour d’un style oral : narration vivante et rythmée. D’une langue truculente et foncièrement subversive, Sony Labou Tansi dépeint sans maquillage les excès et les outrances du Guide qui essaie de se débarrasser de Martial tout en continuant à persécuter son peuple. Il dévoile les stratagèmes mis en place par Chaïdana, la fille de Martial, dans sa quête de vengeance et de sa volonté de libérer le peuple katamalais du joug de la dictature. C’est un ballet sanglant sur plusieurs générations qui monte en crescendo avant d’exploser dans une indescriptible hystérie et de  plonger dans l’oubli et la perte de sens par l’absurde.

Tout au long du livre, il est difficile de se départir d’une impression de folie que confirmerait le rire sardonique de l’auteur émergeant comme par miracle des pages noircies d’encre. Volontairement violent et cru, Sony Labou Tansi crache sur les dérives de l’Afrique et du pouvoir en particulier, sur le colonisateur qui est bien sûr évoqué. Il se laisse aller à une folie, à une logique d’emballement, de chaos et d’absurdité qui malheureusement lâchent le lecteur, le perdent, le lassent bien trop vite. Il n’est pas aisé de suivre et de survivre à ce foisonnement de personnages, d’intrigues, de styles qui relèvent vite de l’explosion tous azimuts. Roman post-moderne dont l’absence de fixité de la construction du récit est à situer à la même enseigne que Hermina de Sami Tchak, La Prise de Gibaltar de Rachid Boudjera, L’Enfant de sable et La Nuit sacrée de Tahar Ben Jelloun, Journal du dehors d’Annie Ernaux, La Vie et demie appelle à une constante vigilance du lecteur. Tout est mélangé et le réel n’existe plus, peut-être pour achever de persuader de manière originale le lecteur courageux que ce que l’auteur dénonce est bien inadmissible et ne doit pas être.

Rygoh Philippe N’GUESSAN

SONY-LABOU Tansi, La Vie et demie, 6,5 €

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